La dégringolade des cours de pétrole depuis une année «ne rend que plus visible l'iceberg ou les sérieuses difficultés auxquelles le pays sera confronté». Le collectif Nabni considère que l'Algérie fait face, comme en 1985, à un nouveau choc pétrolier et les indicateurs économiques suffisent à prendre la mesure de l'urgence de la situation». Lors d'une conférence de presse, tenue hier à Alger, pour présenter son plan d'urgence «ABDA» qui est un acronyme des lettres A, B, D, A, comprenant douze propositions pour la période 2016-2018, le think thank Nabni avertit que «le statu quo n'est pas soutenable car le Fonds de régulation des recettes s'épuisera autour de 2017, de même que les réserves de change qui fondraient à 9 milliards de dollars dans quatre ans si le baril chutait à 50 dollars tandis que le solde de la balance des paiements est devenu négatif en 2014». Abdelkrim Boudraa, membre du collectif, a souligné l'échec des tentatives de diversification économique. «La réaction des pouvoirs publics face à la crise n'augure pas une prise de conscience de la gravité de la situation», s'est inquiété M. Boudraa. Le plan comprend sept messages, a-t-il précisé, ajoutant que «l'urgence est devant nous et l'iceberg n'est plus une vue d'esprit». Bien qu'essentiellement économique, la finalité du Plan d'urgence est d'engager le virage qui permettra au pays d'atteindre «les objectifs de justice sociale et d'emploi». Contrairement à son plan précédent qui incluait des propositions touchant à plusieurs secteurs, l'objectif arrêté cette fois-ci est d'«impulser un nombre limité de ruptures profondes à même de déclencher une dynamique positive». Quatre lignes directrices ont été retenues pour amorcer une rupture avec «le statu quo». Pour réussir la mise en œuvre d'un tel plan, «nous proposons la mise en place d'une Delivery unit, unité spécialisée en charge de la conduite des réformes clés rattachée au Président ou au Premier ministre afin d'assurer une coordination interministérielle efficace, une exécution et un suivi régulier des réformes et un appui aux ministères concernés pour identifier les blocages et les soumettre à l'arbitrage des plus hautes autorités», a-t-il proposé. «Nous ne sommes pas en phase de statu quo mais en déclin depuis plusieurs années, alors que la réaction du gouvernement n'est pas à la hauteur des enjeux», a-t-il relevé. Selon lui, «le vrai enjeu pour l'Algérie est sa capacité de sauver son modèle économique et social actuel ou le perdre». Le collectif qui a choisi d'être «pragmatique» fait de nouvelles propositions dans son plan «ABDA «, qui prône des réformes d'urgence. Critiquant les institutions de l'Etat, il a estimé que «les responsables ne réagissent pas suffisamment aux enjeux et ne possèdent pas les compétences nécessaires pour conduire les réformes». De son côté, Lyès Kerrar, membre du collectif, a souligné que «nous n'avons plus les moyens financiers pour continuer à gaspiller les fonds. «Il faut arrêter d'injecter des fonds dans des entreprises publiques déstructurées. Il est important de commencer d'abord par la gouvernance et le management pour s'assurer des résultats». Pour commencer, «il faut proposer un mode d'organisation pour piloter les réformes». Des lignes directrices à fixer Pour Mebrouk Aïb, spécialiste en stratégie et membre de Nabni, «l'Etat doit fixer des lignes directrices et des champs d'action prioritaires et commencer de manière pragmatique à les appliquer». A défaut, même si les prix du baril se redressent à 100 dollars, le problème fondamental ne changera pas. «La réalité est que nous avons des problèmes chroniques et structurels», soutiendra-t-il, convaincu que «même à 120 dollars, l'iceberg reste une menace». Il a suggéré, en urgence, de revoir la politique de subventions qui profite actuellement aux plus nantis. Pour Nabni, «il ne s'agit pas d'arrêter les subventions mais de les cibler, car nous n'avons pas de logique libérale. Nous tenons à notre modèle social, à condition de l'améliorer en optant pour des subventions ciblées et bien déterminées», insistera-t-il. Le système actuel favorise le gaspillage, a enchaîné M. Kerrar, citant le cas de la subvention des prix de l'énergie. «Il faudra entamer une augmentation progressive et différenciée des prix des biens et services subventionnés», a-t-il indiqué. A défaut, la poursuite des politiques actuelles conduiront à une incapacité de l'Etat à financer, même à court terme, l'éducation, poursuivre les efforts dans les domaines de la santé et la retraite notamment et financer les investissements d'envergure. Les niveaux de risques sont élevés, d'où la nécessité d'avoir «une volonté pour introduire le changement et avoir une ambition stratégique» pour appliquer des réformes à court terme, a-t-il suggéré. Nabni appelle ainsi le gouvernement à finir avec les tergiversations. Dans son programme étalé sur trois ans (2016-2017-2018), le collectif s'est fixé quatre grands objectifs qui ne visent pas à entamer un plan d'austérité ou encore freiner les investissements et les projets de développement de l'économie nationale. Le plan d'urgence en question vise notamment à amorcer la diversification économique, impulser la diversification économique par l'investissement productif et accroître la création d'emplois et la croissance des revenus. Il projette également de rétablir la soutenabilité budgétaire et financière de l'économie, développer de nouvelles sources de recettes pour l'Etat, réduire les dépenses à un niveau soutenable, par exemple, en ramenant le prix d'équilibre du budget de l'Etat à 65-70 dollars d'ici 2018 et rééquilibrer le commerce extérieur. Ce plan a pour objectif aussi d'améliorer sensiblement l'efficacité des politiques publiques et la gouvernance, amorcer des changements dans la gouvernance publique qui permettent d'avoir un impact dans tous les domaines des politiques publiques. Il ambitionne également de permettre de financer le développement social, de maintenir l'idéal de justice sociale et de juste redistribution des richesses. Le collectif appelle en effet à «arrêter les politiques inefficaces et coûteuses» en inversant «les décisions qui ont clairement échoué, qui ont montré leur inefficacité ou qui sont trop coûteuses ou injustes et mènent au gaspillage». «Arrêter les dégâts» en permettant d'initialiser immédiatement des changements d'approche conséquents qui freinent la détérioration de la situation, a suggéré le plan. En réalisant «un bond qualitatif dans la gouvernance publique», le collectif propose de «démarrer les réformes les plus difficiles, même à petites doses et de façon progressive», afin d'en limiter le coût social et de mettre en place les mécanismes compensatoires pour les citoyens les plus affectés pour réduire efficacement la pauvreté. «Il est temps d'y aller !», n'ont cessé de répéter les membres de Nabni, recommandant d'«accélérer les chantiers en suspens». Parmi les propositions citées dans le plan figure le décalage de la programmation de certains grands projets d'infrastructure et le gel de la croissance réelle des dépenses de fonctionnement jusqu'en 2018. Le collectif propose aussi de «créer une école de gouvernance publique de rang mondial afin d'amorcer un bond de modernisation de la haute administration».