Hier, Farid était invité au réveillon de Noël. Farid n'a jamais fêté Noël, mais la fête, ça le connaît. C'est d'ailleurs un peu pour ça qu'il a été convié par un couple d'amis qui ont pris l'habitude de réveillonner au soir du 24 décembre. Ce n'est pas encore une tradition chez eux mais ils ont appris maintenant à parler de fête au pluriel à l'orée de chaque nouvelle année. Enfin, parler est... une façon de parler, parce que ces cadres bon chic bon genre chuchotent plutôt leur plaisir caché. Ce n'est pas de bon ton de faire la fête quand c'est la fête des autres, ça ils le savaient depuis longtemps. Ils ont pourtant appris à le découvrir un peu plus depuis quelques années. Ils aiment bien festoyer mais la mauvaise conscience ne les a jamais quittés. Et plus que la mauvaise conscience, il y a la peur. Depuis que la fille de l'un d'eux a été vertement sermonnée par un barbu qui avait investi avec son groupe de rédempteurs la boulangerie célèbre pour la qualité de ses bûches, ils «font attention». La petite a échappé de justesse à l'agression physique mais elle garde encore le traumatisme d'un réveillon pas comme les autres. Cela s'est passé un 31 décembre, par une matinée de printemps en hiver, tout le monde s'en souvient. Les amis B.C.B.G. de Farid se sont alors posé la question de savoir ce que ça leur aurait coûté d'être pris en flagrant délit de réveillon de Noël, au soir du 24 décembre. On a beau dire, «ça passe encore pour le réveillon du 31, mais il ne faut quand même pas exagérer», en allant s'aliéner au point de célébrer la fête des chrétiens. Cette réflexion, ils l'avaient entendue des milliers de fois, mais ne comptez pas sur eux pour aller porter la contradiction à ceux qui ont toujours raison. D'ailleurs, les amis de Farid n'ont jamais eu l'intention de le faire. Ils n'ont jamais eu l'impression d'être «aliénés» parce qu'il n'y a aucun lien culturel ou religieux dans leur rendez-vous de fin d'année. Ils se savent seulement fêtards et Noël est une occasion comme une autre de faire d'eux de gais lurons. Les amis de Farid se cachent donc pour faire la fête, pour... vivre, comme ils aiment le dire souvent. Comme ce n'est pas vraiment dans leur culture, ils vont jusqu'au bout de leur logique du plaisir. Qu'on ne s'y méprenne pas donc, il n'y a ni sapin, ni foie gras, ni dinde ni saumon. Seule entorse à leu règle de bonheur simple, ils se débrouillent toujours une bouteille de champagne de dernière catégorie. D'abord parce qu'il faut bien un moment solennel dans la soirée où l'attention de tout le monde doit être là, mais surtout parce que «les femmes aiment bien ça». Ils ont donc invité Farid même s'ils sont un peu embarrassés par son statut de célibataire endurci. Il est irremplaçable pour trouver l'introuvable et les amis B.C.B.G. n'ont pas réussi à se débrouiller le mousseux. Et puis Farid est le champion du barbecue et des sélections de musique. Quand il a sonné à la porte de l'appartement, l'ami qui avait ouvert la porte avait déjà remarqué dans l'œil de bœuf que Farid n'avait pas la bouteille promise. Une fois à l'intérieur, il était tout confus d'annoncer qu'elle lui avait échappé des mains au moment de descendre de la voiture et qu'elle s'est brisée sur l'asphalte du parking. «J'espère que personne ne t'a vu rentrer ici», s'exclament plusieurs voix à la fois. Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.