Chaque année, dès l'apparition des beaux jours, les rues algériennes sont quasiment envahies par de nombreux malades mentaux, parfois incontrôlables. Est-ce parce qu'en hiver la foule n'y prête pas attention, pressée qu'elle est de s'abriter de la pluie et du froid ? Il reste qu'en dépit des efforts fournis par les autorités afin de prendre en charge ces individus, ils réapparaissent quelques jours après. Et comme pour moult choses en Algérie, il existe différents types de «fous» et autant de comportements, qui vont de la violence dans son déchaînement le plus effrayant à l'autisme le plus apathique, en passant par l'inoffensif le plus docile, voire «amusant». C'est le cas pour Belhadj. Il est âgé de 33 ans, et c'est un «fou gentil». Résidant dans un quartier d'El Mouradia, c'est dans la «houma» qu'il passe la majeure partie de ses journées. D'ailleurs, il est devenu une figure de proue de la rue dans laquelle il a grandi. Il aborde les passants pour leur demander quelques dinars afin d'acheter du tabac à chiquer ou quelques cigarettes. Sinon, il est «aussi doux qu'un agneau», affirment ses voisins, qui racontent que le «pauvre garçon, qui était très beau, était tout à fait normal, jusqu'au jour où il a été ensorcelé par une femme revancharde». Décrit comme une personne «sympathique», il ne change d'attitude que lorsqu'on ne lui administre plus son traitement. «Même dans ces cas-là, il n'agresse personne. Il se contente de déchirer ses habits et de déambuler dans les rues, à moitié nu», expliquent-ils. Ce qui n'est malheureusement pas le cas de la plupart des malades mentaux qui errent dans les grandes artères des villes ou qui «squattent» un coin de rue. Ces fous, parlant seuls, agitant les bras ou munis de bâtons ou de tout autre objet, sont la terreur des passants et des riverains, tant ils sont imprévisibles. Folie furieuse incontrôlable Atteints de crise de «folie furieuse», ils ne sont pas maîtrisables, d'une force hors du commun et d'une violence sans bornes. Leurs familles, si famille il y a, ne peuvent ou ne savent pas comment les prendre en charge pour les empêcher de sortir du domicile terroriser les gens, car de nombreux malades mentaux agressifs ne vivent plus chez eux, s'étant échappés du centre psychiatrique dans lequel ils ont été internés. D'autres ne sont pas natifs des villes qu'ils «hantent», la folie, ou la simple dépression, étant considérée comme une tare inavouable, leurs familles, afin de préserver leur réputation ou ne pouvant supporter leur prise en charge, se sont simplement débarrassées d'eux, en les «expédiant» dans une autre ville. Sans domicile et anonymes, ils ne peuvent que s'enfoncer encore plus dans leur maladie et leur furie destructrice. Et les histoires relatant des «passages à tabac» administrés par ces malades sont choses courantes. Lorsque leurs méfaits se limitent à chanter à tue-tête des chants patriotiques en agitant l'emblème national sur le bord des autoroutes, à crier en pleine nuit ou à faire des pompes en pleine avenue, c'est un moindre mal. Mais, souvent, les agressions physiques sont légion. Gaillards distribuant gifles et coups de poing à tour de bras, ou faisant des pompes en plein avenue, femmes hagardes vilipendant les passants et empoignant les cheveux des femmes, vieux en guenilles qui crachent, injurient ou qui attendent à la sortie des écoles et autres établissements «leurs proies». Insécurité et angoisse Ils créent une réelle atmosphère de peur, voire d'angoisse, dans les quartiers, les enfants détalant à leur vue, et les adultes changeant de trottoir dès la détection d'un individu «suspect» sur leur trajet. L'insécurité régnant déjà dans nos rues, une autre plaie vient ainsi accroître la peur citadine, et l'appréhension ressentie à mettre les pieds dehors. Que font les autorités concernées, est-on en droit de demander. Car, même lorsque des situations à risque sont signalées, aucune mesure concrète et définitive n'est prise pour éviter les drames. Jusqu'au jour où il est trop tard, comme le démontre ce fait divers qui s'est produit il y a quelques mois dans la ville de Aïn Taya. Un «aliéné mental» a entraîné de force un enfant de huit ans, qui se rendait à l'école, et l'a frappé sauvagement à la tête à l'aide d'un manche en bois jusqu'à ce que mort s'ensuive. Pourtant, les habitants de la ville avaient, maintes fois, signalé la présence de cet individu dangereux dans les rues, en vain. Faudra-t-il attendre que d'autres drames similaires se produisent pour que les choses bougent ?