Le 36e anniversaire du Printemps berbère sera célébré cette année dans un contexte marqué par l'officialisation de tamazight, une revendication majeure des initiateurs du mouvement culturel berbère (MCB) né dans le sillage des événements tragiques d'avril 1980. L'autre nouveauté à signaler est cette décision des pouvoirs publics de célébrer officiellement un événement, considéré il n'y a pas si longtemps comme sujet politiquement suspect. Une décision que de nombreux militants de la cause amazighe et de certains partis politiques ancrés en Kabylie ont vite dénoncé en accusant le pouvoir de vouloir récupérer un événement d'essence revendicatif pour le transformer en une halte festive et folklorique. C'est le cas du RCD qui ne cesse depuis plus d'une semaine de mobiliser ses troupes à travers des conférences débats partout en Kabylie et d'un appel à des marches populaires pour ce 20 avril. Pour ce parti, dont la création n'est qu'une suite politique du Mouvement culturel berbère (MCB), aujourd'hui complètement anéanti, «les tentatives de commémoration officielles du 20 Avril à travers la mobilisation des relais du pouvoir dans la région de Kabylie inféodés aux milieux maffieux n'est que la partie visible d'une volonté de dévoyer le sens des revendications à la liberté et à la démocratie qui sont aux antipodes des orientations et pratiques de ce même pouvoir». Un constat partagé par de nombreux militants de la démocratie et de la cause identitaire, qui estiment que l'intrusion du pouvoir dans la célébration du Printemps berbère, trouve sa raison essentiellement dans la démission des vrais acteurs de ce mouvement, dont certains sont aujourd'hui à la tête d'organisations partisanes alors que d'autres ont complètement changé d'orientation politique. «Chaque génération a ses revendications» Pour Arab Akine, animateur du MCB et ancien détenu d'avril 80, qui s'exprimait jeudi dernier à la Maison de la culture de Tizi Ouzou à l'occasion d'une conférence débat sur le Printemps berbère, «le débat est pollué par la manipulation, le parasitage de ceux qui veulent imposer le fait accompli constitutionnel en avalisant l'idée que le déni identitaire est réparé, dès lors que la nouvelle Constitution a reconnu le statut de langue officielle à tamazight». Bien au contraire, ajoute-t-il, «le temps n'est pas à la résignation mais à la mobilisation pour faire face aux manipulations et aux déviations. Il faut reconvoquer les valeurs d'avril 1980 et les adapter aux défis qu'impose la situation actuelle». Son camarade et compagnon de lutte, Mouloud Lounaouci, tout en insistant sur la vulnérabilité du statut officiel de tamazight dans la nouvelle Constitution, a surtout noté le recul du militantisme et de la lutte pour la cause identitaire chez la nouvelle génération. Pour illustrer son constat, le sociolinguiste et membre fondateur du MCB, est revenu sur cette conférence qu'il avait animée la semaine passée à l'université de Béjaïa sur le thème d'Avril 80 que les étudiants ont presque boudé, selon lui. «Au moment où je devais animer la conférence, un match du Real Madrid passait à la télévision et même après la fin de la rencontre les étudiants ont regagné leur chambre sans donner de l'importance à la conférence», se désole-t-il. Pour d'autres observateurs, le débat aujourd'hui ne doit pas rester figé aux mots d'ordres d'il y a vingt ou trente années car depuis le 20 avril 1980, de nombreux acquis sont arrachés et les revendications d'un jeune de l'époque du parti unique, de l'unicité linguistique et du socialisme spécifique, ne sont plus celles des jeunes d'aujourd'hui dans un époque marquée par le multipartisme, la liberté d'expression, le bilinguisme identitaire et surtout l'économie du marché et l'information numérique. «Il faut surtout capitaliser les nombreux acquis arrachés par la population pas seulement en Kabylie à travers la question identitaire mais dans toute l'Algérie avec la naissance du multipartisme et de la liberté d'expression. Chaque génération a ses propres revendications. On ne doit pas rester éternellement dans l'esprit revendicatif d'il y a 36 ans car aujourd'hui la demande sociale dans une conjoncture différente de celle d'avant a complètement évoluée et c'est ce que certains de nos hommes politiques semblent ignorer», nous confie Madjd, un étudiant en sciences sociales à l'université Mouloud-Mammeri, un nom associé aux événements d'Avril 80, lorsque la police avait interdit une conférence que devait animer cet écrivain au sein de cette faculté.