Dans cet entretien, Arezki Abboute, un des 24 détenus d'Avril 1980 et militant des droits de l'homme, nous livre ses impressions sur le cheminement du mouvement berbère. - Vous avez été un des 24 détenus d'Avril 1980. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur le combat identitaire en Algérie ? J'aurais tellement voulu vous donner une réponse de quelqu'un qui, après de nombreuses années de lutte et de sacrifices, voit enfin son combat, qui fut également celui de milliers d'autres citoyens, aboutir. Mais telle ne sera pas ma réponse, hélas. Car 32 années après le massacre commis par des CNS sur des étudiants de l'université de Tizi Ouzou surpris dans leur sommeil, un certain 20 avril 1980, quinze années après le boycott scolaire décrété, en 1994, par la coordination et les commissions nationales du MCB, et onze années après l'assassinat de plus de 120 jeunes et de milliers d'autres blessés suite aux manifestations pacifiques, faut-il encore le rappeler, qui ont suivi la mort, par balle, du lycéen Guermah Massinissa à l'intérieur de la brigade de gendarmerie de Beni Douala, les résultats sont bien loin des sacrifices qui ont été consentis, quand bien même je dois reconnaître que tamazight est aujourd'hui introduite dans le système scolaire, qu'elle est langue nationale depuis 2002, et qu'un Haut-Commissariat à l'amazighité, sensé promouvoir cette langue, a été institué depuis 1995. Des acquis que, bien entendu, je ne cherche nullement à réfuter, mais que je considère, pour ma part, très insuffisants au regard des avancées considérables enregistrées par nos frères du Maroc sans qu'ils n'aient eu, fort heureusement, à payer le prix que nous, nous avons toujours consenti sans, toutefois, parvenir encore à la constitutionnalisation de tamazight comme langue officielle comme c'est le cas, depuis peu, au Maroc. - Qu'est-ce que le Printemps berbère a apporté à la revendication amazighe et au combat démocratique ? Je ne crois pas qu'il y a là une quelconque contradiction entre ce que j'ai dit dans ma réponse à votre première question et le fait d'affirmer maintenant que le Printemps amazigh a incontestablement fait avancer la revendication identitaire. J'en veux pour preuves que les acquis que j'ai énumérés dans ma réponse précédente, en précisant, une fois de plus, que pour moi, ces acquis sont en deçà des sacrifices consentis tout au long des nombreuses années de lutte. Quant à ce que le Printemps amazigh a apporté au combat démocratique, je pense que pour cela, il suffit juste de se rappeler toutes les manifestations qui ont secoué plusieurs villes du pays, et ce, quelques mois à peine après celles qu'avait connues la Kabylie après l'interdiction de la conférence que devait animer Mouloud Mammeri au campus universitaire de Oued Aïssi, le 10 mars 1980. Ceci d'un côté. De l'autre, la création de la première Ligue algérienne des droits de l'homme, où s'investirent nombre de militants du MCB avant d'être arrêtés et traduits devant la cour de Sûreté de l'Etat de Médéa, a été incontestablement le point de départ pour un débat sur une des questions les plus sensibles et les plus urgentes du moment : le débat sur les droits de l'homme. - Le MCB est absent sur le terrain depuis des années. A quoi est due, selon vous, cette démobilisation ? En effet, après avoir été considéré, dans les années 1980, comme unique porte-parole et seul représentant de presque toute une population, la population berbérophone, le MCB, qui fut un creuset pour de nombreux militants et sympathisants de la cause amazigh, n'est plus sur le terrain depuis de longues années déjà. Cette absence est, de mon point de vue, due à une succession de crises qui l'avaient secoué et dont la première remonte à la création du RCD dont un nombre important de ses dirigeants constituaient une composante non moins importante des animateurs du MCB. Par ailleurs, je pense que ce n'est pas faire un procès en sorcellerie que de rappeler cette malheureuse phrase, et dont beaucoup se souviennent encore, prononcée par le porte-parole des assises et décrétant la mort du MCB. Une phrase inopportune dont les conséquences n'avaient pas tardé à se manifester puisque, quelque temps seulement après, le mouvement connut une première fracture qui avait donné naissance à deux MCB : le MCB/Coordination nationale proche du RCD, le MCB/ Commissions nationales, proche du FFS, avant d'enregistrer un troisième MCB (le MCB/Rassemblement national) initié par Ferhat Mhenni, quelques années plus tard, alors qu'il venait de claquer la porte du RCD. Ainsi, à ces deux crises, qui avaient largement entamé la déstructuration d'un mouvement que beaucoup croyaient promis à un bel avenir, s'était ajoutée une violence qui n'avait d'égale que la haine semée par ceux dont l'unique obsession est de sauver le système et de se maintenir au pouvoir. - Le principe des droits de l'homme a été l'un des combats portés par les anciens du MCB. L'Algérie a-t-elle connu des avancées dans ce domaine ? Je pense que vous avez bien fait de le rappeler, effectivement, au MCB, de nombreux militants n'ont jamais dissocié le combat pour notre langue et notre culture du combat pour le respect des droits de l'homme, comme d'ailleurs le confirment de nombreux textes internationaux, notamment la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention sur le droit des minorités... Et c'était cette façon de concevoir les choses qui avait naturellement amené certains d'entre nous à nous investir dans la création, en 1985, de la première Ligue algérienne des droits de l'homme, dont plus de la moitié des membres du comité directeur était issus du MCB. Cela leur avait valu, bien entendu, arrestation, traduction devant la cour de Sûreté de l'Etat de Médéa et condamnation à de la prison ferme dans un pays qui prétendait être la Mecque des révolutionnaires. Concernant le deuxième volet de votre question, à savoir si l'Algérie a connu des avancées dans le domaine des droits humains, je crois que ma réponse ne sera pas différente de celle portant sur les acquis dans le domaine de la revendication identitaire, car dans un domaine comme dans l'autre, de nombreux acquis, et à chaque fois que nous unissons nos forces, des résultats ont été au bout des sacrifices et des efforts. Et exactement, comme furent arrachés la constitutionnalisation de tamazight comme langue nationale, son introduction dans le système éducatif, l'institution du Haut-Commissariat à l'amazighité (HCA), dans le domaine des droits de l'homme, l'Algérie a aussi connu des avancées considérables. A titre d'exemple, nous pouvons citer la ratification du Pacte relatif aux droits civils et politiques, celui des droits économiques sociaux et culturels, la Convention sur les droits de l'enfant..., mais et hélas, comme dans le cas de tamazight et de tant d'autres domaines encore, ces avancées restent du seul domaine théorique puisque dans la pratique, nous ne voyons rien sur le terrain, ce qui nous motive davantage à continuer de nous mobiliser et de militer.