Invité à présenter son nouveau roman Moi Scribe paru aux éditions Chihab, Rachid Mokhtari a évoqué hier, lors d'une rencontre, cette étrange saga colorée. Pour l'auteur, «ce roman s'écarte des autres en ne faisant pas référence aux questions fondatrices de l'identité algérienne, il s'inscrit dans le ludique et la dérision avec le loufoque personnage Tikouk, un pantin, un clown par qui le rêve est permis». «Cette histoire a une approche profanatoire esthétique. Ce roman n'est pas tourné vers le passé, ni l'histoire, ni la mémoire. Il est dans l'immédiateté, et la fiction est plus forte que la réalité. Je suis dans le roman à travers l'artificiel, et dans un monde de fausseté. Nos sociétés maghrébines ne sont plus productrices de symboles (chant, musique) mais dans une société de fausseté et d'apparat», dit-il. Faisant référence à la mort qui est omniprésente dans ce livre comme tous ceux de Rachid Mokhtari, l'écrivain explique avec moult détails : «C'est un monde qui me passionne avec des personnages qui ne permettent pas une certaine suspicion. Ils tiennent leur force de leur éternité. Dans la culture maghrébine, on ne dit pas le mort mais il est parti ou s'en est allé. C'est un mot presque irrévérencieux. D'ailleurs, dans les sociétés maghrébines, les cimetières jouxtent les habitations. Effectivement, je suis ébloui par le royaume de la mort». A une question axant sur la temporalité, l'auteur rappelle que «dans ce récit, le temps n'est pas historique, c'est celui d'un conte fantastique. J'invente le temps et je joue avec l'éternité de la mort. C'est le même espace qui évolue, changeant, inventé. Il n'y a pas de toponymie réelle, ce qui lui confère une fresque romanesque», précise-t-il. Dans cet ouvrage, la thématique des ancêtres est mise en exergue. L'écrivain plaide également pour «ce sujet qui est fondateur de la littérature maghrébine moderne. Il est mis dans le ludique et la comédie car elle n'est pas le propre de l'homme. L'homme est tragique». Pour Rachid Mokhtari, cette histoire romancée est une belle satire sociale où priment la raillerie et la moquerie. Dérision, ironie, sarcasme témoignent de cette société où tout est artificiel et faux. C'est une mise en garde que l'auteur pointe d'un doigt accusateur pour nous interpeller sur la duplicité et l'hypocrisie sociales. Il espère que la prise de conscience aura lieu. Pour clore cette rencontre, l'écrivain talentueux fait une évocation de l'œuvre exemplaire de Tahar Djaout qui rend compte de l'évolution sociale algérienne tout en «décontextualisant» l'Histoire. Remettre les pendules à l'heure Dans cette perspective, il convie à une réflexion sur le roman moderne qu'il évoque en déclarant : «On le définit par rapport à Mouloud Feraoun et Kateb Yacine et par le fait que l'on n'est plus dans la parole mais dans la forme scripturaire. Il est défini par sa construction formelle et non par sa thématique. Dans ce genre de roman, la notion d'engagement a changé. Ce n'est plus l'engagement idéologique mais l'engagement littéraire», signale-t-il. Apparemment, ce dernier roman de Rachid Mokhtari convie à une grande réflexion de notre société qui a perdu son authenticité au profit de l'artificiel et de la dissimulation. Cette longue diatribe permet de remettre les pendules à l'heure. A lire pour mieux appréhender l'idée de cet écrivain à la hauteur de vue et à la pensée profondes.