T out le monde a dû remarquer que les prêches de la prière du vendredi se sont déclinés, hier, sur un ton monocorde. Les imams d'Algérie ont été invités, jeudi, et sous le sceau de l'urgence, à adapter leurs serments à la brûlante actualité à Béjaïa : élever la «stabilité» au rang du sacré, et décréter la «fitna» (discorde) étrangère à la religion musulmane. Ce sont les axes fondamentaux sur lesquels devaient s'articuler les serments pour être en phase avec les exigences politiques immédiates. On y a retrouvé tous les éléments de langage qu'on a coutume d'entendre dans les discours du Premier ministre, des ministres et responsables des partis de la majorité et de la périphérie. On a juste remplacé les tribunes politiques par les mihrabs des mosquées pour énoncer les mêmes mises en garde contre la tentation de la «fitna», rappeler le «devoir» de chaque citoyen de sauvegarder les «réalisations» accomplies et, in fine, glorifier les bienfaits de «la paix et la stabilité». Le propos ici n'est pas de remettre en cause le rôle pédagogique de la mosquée. C'est l'essence même du discours religieux que de prêcher la pondération et finalement entreprendre un travail de déradicalisation auprès des fidèles. Ceci d'autant plus que les lieux de culte, et spécialement la prière du vendredi, attirent des bataillons de personnes que tous les partis politiques réunis ne peuvent rassembler. Mais il aurait fallu instruire les imams d'accomplir cette œuvre salutaire pour le pays de manière constante et non pas occasionnelle ; quand les politiques sont débordés. Il est bien facile de lever ses bras au ciel et implorer Dieu que les choses ne tournent pas au vinaigre. L'imam, fut-il convaincant, ne pourra pas toujours suppléer le manque d'anticipation des gouvernants et leur échec à décrypter les convulsions de la société. L'Etat, qui a toujours dénoncé l'exploitation de la religion à des fins politiques depuis les faits et les méfaits de l'ex-FIS, s'en trouve pris dans son propre piège de devoir mettre à contribution les imams pour éteindre le feu qui a pris à Béjaïa. De fait, on pourra l'accuser, non sans raison, de monopoliser l'usage de la religion. Le ministre du culte fera valoir la bonne cause «d'immuniser l'Algérie» contre les printemps dévastateurs. C'est un argument certes valable et recevable mais pas suffisant. Par contre, personne n'aurait trouvé à redire si les mosquées s'acquittaient de manière permanente de cette mission sacerdotale qui consiste à produire un discours religieux modéré qui, plus est, colle à l'actualité nationale sans être aiguillonné par le ministère de tutelle. Force est de constater que dans de nombreuses mosquées, les imams se lancent dans des prêches théoriques désincarnés sans aucune prise sur les réalités du pays. A croire que le succès d'une prestation se mesure aux intonations de l'imam qui fait jouer sa voix à pleins décibels. Cela crève les tympans, mais tombe peut-être dans l'oreille des sourds… Très souvent, on ne retient que la voix chevrotine du cheikh qui pimente ses propos par quelques digressions pas tout à fait en odeur de sainteté. Faut-il pour autant jeter la pierre à ces imams-fonctionnaires ? Evidemment non, surtout quand on entend le ministre des Affaires religieuses avouer, impuissant, que près d'une soixantaine de mosquées dans la capitale sont gérées par des imams salafistes et que des centaines de lieux de culte échappent à tout contrôle. Peut-on attendre un discours religieux glorifiant l'Algérie quand les préposés au prêche reçoivent leur catéchisme d'Arabie saoudite ? Moralité : le sermon demandé par Mohamed Aissa aux imams ne serait d'aucun secours s'il n'est pas adossé à un serment du gouvernement de faire en sorte que les Algériens soient rassurés qu'on s'occupe bien d'eux. Cela s'appelle la bonne gouvernance.