Même si la problématique du texte dans le théâtre algérien ne date pas d'aujourd'hui, elle peine toujours à trouver des solutions probantes. Un fait qui a amené certains metteurs en scène algériens à piocher leurs textes dans le roman algérien... En effet, le roman algérien ne manque pas d'attitrer les âmes artistes sensibles qui cherchent à exprimer leurs idées. Des idées novatrices et multiples que les metteurs en scènes Ziani Cherif Ayad, Mourad Senouci et Mohamed Bourahla ont exprimées sur les planches à travers des expériences multiples et fortes de leur succès. Ces trois expériences ont été au centre d'une conférence tenue à cet effet samedi matin à l'espace Mohamed Benguetaf du Théâtre National Algérien (TNA) Mahieddine Bachtarzi. Pour le comédien, dramaturge et metteur en scène Ziani Cherif Ayad, adapter des textes de roman sur les planches n'a pas été un choix mais plutôt une évidence. «Lorsque je suis arrivé au TNA en 1972, j'étais toujours comédien. C'était le creux de la vague. Tous les metteurs en scène étaient blasés… Pour ma part, je voulais faire un théâtre citoyen qui m'interpelle d'abord et qui raconte la réalité de ce qui se passe dans mon pays. Cependant, il n'y avait pas de texte théâtral propre, comme si le théâtre vivait à côté de ce qui se passait en Algérie à cette époque, alors que le roman, lui, avait une réelle prise de vues sur ce qui se passait. Les auteurs affirmaient leur position contre le régime, les idéologies, et pour moi, c'était ça, le théâtre que je voulais faire», dira Ziani Cherif Ayad. Et même s'il arrivait à trouver des textes percutants comme celui du russe Vladimir Maïakovski, cela restait insuffisant pour atteindre le public, qui n'avait pas de références théâtrales universelles. Ce metteur en scène évoquera ensuite les différentes adaptations théâtrales qu'il a montées telles que Chouhadaa yaôudoun hadha el ousboue' (Les martyrs reviennent cette semaine) de Tahar Ouattar, Galou laârab galou, en 1982, adaptée d'El Moharedj de Mohamed El Ghaout, Hafila tassir, de Boubekeur Makhoukh … «Dans cette dernière, j'ai travaillé avec un excellent scénographe et on a fait en sorte de reproduire dans cette pièce, ce mini bus, une sorte de micro société et ainsi y évoquer tout ce qui se passait en Algérie à cette époque-là…» Ziani Cherif Ayad mettra aussi l'accent sur le fait que le théâtre en tant qu'art n'évoquera pas la décennie noire dans ses productions. «On a parlé de décennie noire dans le cinéma, le roman, la nouvelle, la poésie, la peinture…mais pas au théâtre…. j'ai monté à cet effet El machina qui parle de l'assassinat de Abdelkader Alloula, et là, je suis tombé sur le texte de Leila Aslaoui, Sans Voile, Sans Remords, qui parle des années 1990. Ce texte m'a vivement interpellé, d'autant plus qu'il évoque la réalité du monde d'aujourd'hui, de Daech, de la situation des pays arabes… je travaille sur ce texte et la première de la pièce aura lieu le 21 mai prochain au TNA», souligne le conférencier. Médiocrité De son côté, Mourad Senouci a évoqué les seize pièces théâtrales qu'il a montées depuis les années 1980 à ce jour, dont 8 d'entre elles sont des adaptations de romans occidentaux ou arabes. «La pièce Imraa mi wareq adaptée du roman de Wassiny Laaredj fut l'une des pièces les plus difficiles que j'ai eu à faire, au vu de la complexité et de la richesse du texte de l'auteur. Cela dit, c'est ce qui m'a motivé à le faire et le résultat fut surprenant», a-t-il indiqué. Pour le dernier intervenant, Mohammed Bourahla, il évoquera aussi ses adaptations sur scène d'Ellaz, et El wali tahar yaôudou ila makamihi ezzaki, inspirées des romans de Tahar Ouettar. «L'adaptation n'est pas qu'une problématique techniciste, car avant de passer de la lecture au jeu théâtral, il faudrait savoir ce que c'est au juste une adaptation, qui est aussi un travail de création. C'est une opération risquée car une pièce théâtrale n'est pas un roman, elle a ses propres propriétés. C'est une variation et non pas la copie du roman car la véritable adaptation libère son auteur du texte original…» Gabegie Par ailleurs, Bourahla ne manquera pas de souligner le réel problème qui est une absence totale d'une réelle politique culturelle en ce qui concerne le théâtre. Au cours du débat qui a suivi la conférence, Ziani Cherif Ayad dira que le théâtre est pris en otage par la médiocrité des «écrivains publics» qui croient écrire de vrais textes de théâtre. «L'adaptation d'un texte de roman devant eux paraît ubuesque. Il y a des pièces qui reçoivent des cachets pour les 15 ou 20 représentations qui n'ont pas été données… Ces mêmes pièces sont reprogrammées, et ainsi de suite… C'est de la gabegie, et après, on se demande pourquoi le public a déserté les salles… Les théâtres sont pris en otages par les médiocres qui ont colonisé l'espace. Et rien n'est fait pour arrêter ce massacre…», s'est-il insurgé.