M'hamed Benguettaf, l'homme-pivot du théâtre algérien depuis une décennie, a rendu l'âme dimanche soir à l'âge de 75 ans des suites d'une longue et pénible maladie. A partir de 2003, en tant que directeur du TNA et commissaire du festival national de théâtre, il eut la haute main sur la gestion du secteur du théâtre grâce à la confiance dont il jouissait de la part de la ministre de la culture. Encensé par certains, décrié par d'autres en raison de cette gestion, sa mort a fait taire les inimitiés à son endroit. Sur les réseaux sociaux, nombre de ses opposants se sont inclinés devant sa mémoire. Contacté, son ami Omar Fetmouche, directeur du TR Bejaïa, met en exergue son rôle de passeur entre l'ancienne et la nouvelle génération d'artistes du 4e art : «Grâce à son action et à son entregent, nombre de jeunes artistes ont émergé soit en tant qu'auteurs, metteurs en scène ou de comédiens, alors que d'autres ont été nommés à la tête des nouveaux théâtres régionaux. De même, grâce à M'hamed, le répertoire du théâtre algérien a été revisité alors que des artistes passés dans l'oubli ont été honorés.» Ceci étant, une fois éteints les feux de l'actualité, que sera la postérité de M'hamed Benguettaf ? Incontestablement le fait qu'il fut un excellent comédien, sa performance d'acteur dans le rôle de l'ouvrier El Djemaî dans El Ayta fut un moment marquant dans sa carrière. Mais, on retiendra également qu'il a été un prolifique adaptateur et auteur dramatique. FATMA, SA MUSE Son premier texte est mis en scène en 1975. C'était Hasna ou Hassan, monté par Agoumi au sein du TR Annaba. Quatre années après, en 1979, Hadj Omar monte son Stop au TNA et en 1980 il passe à la mise en scène avec un de ses textes, Djeha oua nass au TNA. Mais c'est avec Echouhada yaoûdoune hada el-ousboû, en 1987, d'après une nouvelle de Tahar Ouettar, et El ayta que le nom de Benguettaf s'imposa comme une référence. En 1990, sa Fatma est montée par Ziani Cherif Ayad. En 1992, c'est une traduction de Mille hourras pour une gueuse de l'œuvre éponyme de Mohamed Dib, puis Baya, une adaptation d'après un roman de Aziz Chouaki. La répétition, en 1994, a été écrite directement en français et a été montée en France où il s'était exilé. Arrêt fixe, également en français, est montée en 1996. En 2003, il sera l'auteur d'une adaptation contemporaine de Don Quichotte : Quichotte, l'homme qui n'y était pour rien, une co-production algéro-française labellisée Djazaïr 2003. Mais de toutes ces créations, il est certain que Benguettaf demeurera l'auteur de Fatma, une pièce qui a été traduite dans plusieurs langues et montée dans plusieurs pays d'Europe et d'Afrique. Enfin, dans la mémoire du théâtre algérien, Benguettaf demeurera un des promoteurs du théâtre indépendant. C'était à l'orée des années 1990. A cet égard, la période la plus notable de sa carrière se confond avec la création de la compagnie «Masrah el Kalaâ». Constituée d'une brochette de trois autres talentueux artistes (Sonia Mekkiou, le regretté Azzedine Medjoubi et Ziani Cherif Ayad) elle décrocha en 1989 dès sa première production, El ayta en l'occurrence, la plus importante distinction des 4es journées théâtrales de Carthage. Pour d'aucuns, il est avéré que les uns et les autres se sont nourris mutuellement pour arriver à ce que chacun fournisse le meilleur de lui-même. On notera cependant que si Sonia a mué avantageusement en metteur en scène ainsi que Azzedine Medjoubi, Ziani n'a plus rien produit de significatif depuis la fin de l'expérience de «Masrah el Kalaâ» au milieu des années 1990. Quant à M'hamed Benguettaf, il a été victime d'un assèchement de sa veine en tant qu'auteur au sortir de la décennie noire et de son retour d'exil, un tarissement que ses occupations à la tête du TNA et du commissariat du festival national de théâtre n'expliquent pas.