Il y a quelque chose de pourri dans notre royaume virtuel et réel. Il faut vite tirer la sonnette d'alarme avant que l'écume ravageuse de ces objecteurs de conscience de tous poils ne nous engloutisse. Kamel Daoud, qui vient de signer un «Zabor» (psaumes) de haute voltige intellectuelle, salué par la critique, est voué aux gémonies par une fournée de daeschiens de la pensée. Leurs vociférations déchirent la Toile. Il suffit d'aller sur les forums de discussions pour prendre le pouls d'un secteur de l'opinion qui aboie ses certitudes idéologiques et distribue arbitrairement des brevets littéraires. «Kamel Daoud, un homme de culture? Mon œil !». «C'est un lèche-bottes de la France et d'israël…», lit-on entre autres insanités sur le Net. Certains convoquent même des versets coraniques remis au goût du jour pour lancer leurs philippiques contre ce jeune auteur à succès. D'autres lui reprochent d'écrire dans la langue du «colonisateur» ou bien d'avoir réuni du beau monde à Béjaïa et à Tizi Ouzou alors qu'il n'est pas de la région… Question : en quoi Kamel Daoud et son Zabor constituent-ils un danger pour ces nervis de la Toile dont la majorité n'a pas lu ne serait-ce qu'un chapitre de son bouquin ? Il est tout de même assez inquiétant de voir autant de haine, d'intolérance et d'intégrisme intellectuel vomis sur Facebook contre un homme «coupable» d'avoir écrit librement un livre. Il n'a insulté personne ni n'a obligé quiconque à le lire. Il a juste joui de sa liberté de créer, de penser - même différemment de la bien-pensance ambiante et de la pensée mainstream. Certaines pages de Facebook ont été transformées en mur des lamentations contre un Zabor reçu par les auteurs déchaînés comme une flèche en plein cœur. Au lieu de débattre sereinement de ce bouquin, le critiquer et si possible le déconstruire intellectuellement, ces censeurs dont on devine aisément l'extraction politique et idéologique, s'en sont allés en guerre virtuelle contre un écrivain bien réel. Ils donnent la pleine mesure de leur esprit rétrograde et de leur incapacité à envisager des gens du livre qui ne partagent pas leurs visions. Esprits chauvins, intégristes, sectaires, réactionnaires, extrémistes… Sur les réseaux sociaux, l'arriération intellectuelle et le refus de la différence sont servies à toutes les sauces. C'est insipide à lire, encore plus à digérer. L'acte de création en Algérie relève finalement du courage. Cultiver la différence est quasiment un défi à cette bêtise humaine si prompte à allumer le bûcher à ceux qui ne pensent pas comme cette faune d'adeptes. Sans doute que si Kamel Daoud avait écrit son roman en langue arabe, il n'aurait sûrement pas provoqué un tel déluge d'insultes. L'usage de la langue française est aux yeux de certains illuminés une pièce à conviction de sa culpabilité, pour paraphraser le grand Fellag. Comme si un journaliste ou un écrivain d'expression française était tenu urgemment de montrer patte blanche. Qu'il épouse bien les canons d'écriture conventionnels. Et qu'il prononce la profession de foi publiquement avant de se lancer dans l'aventure intellectuelle. Et le libre arbitre dans tout cela ? Et la liberté tout court, de rêver, d'interpréter, de voyager dans le temps et dans l'espace ? C'est un combat entre les ténèbres et la Lumière. Ces gens-là qui prêchent les interdits à tout bout de champ, ne font en réalité que prononcer un requiem sur l'intelligence. Qu'ils critiquent alors, il en restera toujours quelque chose de Zabor et de tous les bouquins qui marquent leur temps. Mais y aura-t-il quelqu'un qui se souviendra de leur misérable acccès de fièvre ?