La vie d'une «gueule rouge», de la couleur de la roche de fer qui en fait l'environnement, ne vaut pas très cher à Boukhadra, site minier de la wilaya de Tébessa, riche en gisements, mais surtout en injustices. La famille de Salah Ouarghi, cet ouvrier victime lundi 29 juin au soir de l'éboulement d'une des galeries de la carrière principale, s'en rend compte à ses dépens et mesure aujourd'hui le sacrifice de cet homme de 37 ans, mort pour s'être adonné à une tâche ingrate et sous-payée et surtout sans protection aucune. L'accident mortel a eu lieu au point 1123 du 3e étage de l'exploitation exactement. Salah Ouarghi, qui assurait ce poste avec deux autres ouvriers, était occupé au creusement des parois du boyau ; il avait bien entendu le craquement de la roche qui se fendillait au- dessus de sa tête. Il avait certainement compris que le danger, mortel, était là, puisque dans un élan désespéré de survie, il avait tenté d'atteindre l'unique voie de sortie en même temps que ses deux compagnons.La chance n'était malheureusement pas au rendez-vous à ce moment précis et les blocs de pierre qui tombaient de partout avaient fini par l'ensevelir après l'avoir écrabouillé. Une mort atroce qui a provoqué une grande colère au sein des populations de Boukhadra et de l'Ouenza, deux villes qui ne vivent que par et pour les sites miniers d'ArcelorMittal qui en font la seule richesse. Les nouveaux patrons de mines y exploitent sans vergogne une main-d'œuvre paysanne venue des campagnes pauvres de Tébessa et de Souk Ahras, qui s'est greffée aux descendants des ouvriers marocains implantés depuis des lustres dans la région. Un sous-prolétariat qui besogne ses 10 heures quotidiennes dans des trous non sécurisés à 100 mètres sous terre. Ces conditions cruelles de travail, nous les apprenons aujourd'hui de la bouche des syndicalistes et de certains travailleurs, cadres et techniciens de la mine. Pour ces gens-là, il n'est plus question de se taire. La coupe a débordé au moment où leur collègue a péri et chacun y va de sa rancœur envers les responsables de l'entreprise. Un représentant des travailleurs s'offusque : «Aux yeux des gens d'ArcelorMittal, des patrons de Annaba et du siège de Tébessa, nous ne sommes appréciés que pour notre sueur et nos bras. On sait que notre existence ne vaut que quelques milliers de dinars. Pas davantage.» C'est ainsi que nous apprendrons que ces carrières de Boukhadra, autant la souterraine que celle à ciel ouvert, où le sinistre s'est produit en ce triste lundi soir, sont dépourvues de la moindre mesure de sécurité. «Les patrons, pour ne perdre ni argent ni temps, n'autorisent même pas l'étayage des galeries. Nous sommes pires que les coolies du siècle dernier», soupire un ouvrier foreur, qui affirme que depuis dix ans qu'il travaille sur ce site, le pire a failli se produire mille fois. Il criera que le chantier souterrain est un véritable mouroir pour les mineurs : «Pas de système de ventilation, pas de circuit de sécurité dans les galeries. Les schémas d'intervention d'urgence en cas d'accident type plan Orsec ne sont pas prévus. Jusqu'à l'éclairage des lieux de travail qui n'est pas assuré, nous sommes réduits à nous suffire des seules lampes de mineurs pour nous déplacer et creuser dans les boyaux.» Un autre travailleur rencontré s'indignera du fait que les traditions de travail les plus élémentaires soient perdues de vue par l'encadrement de la mine. «L'arrosage à l'eau des chemins de roulage des camions et des engins n'est plus effectué, ou sommairement. Une opération qui entre pourtant dans le cadre de la sécurisation des personnels et des matériels roulants à cause des poussières qui réduisent la visibilité et augmentent de ce fait les risques d'accident», accablera-t-il ses responsables. Un proche parent de la victime de l'accident de lundi nous confiera que les autorités ont été alertées sur les conditions inhumaines dans lesquelles travaillent les mineurs et qu'une enquête a été ouverte par la gendarmerie pour déterminer les causes réelles de la mort de Salah Ouarghi. Une réaction quelque peu tardive mais qui vient confirmer que toujours à quelque chose malheur est bon…