Pour la nouvelle génération, on pense que la grande distribution en Algérie est une création récente et qu'elle vit ses premiers balbutiements. En fait, il faut remonter à l'ère coloniale pour savoir que de grands magasins et autres miniprix coexistaient avec les échoppes de nos braves petits commerçants et épiciers algériens. Ces derniers étaient mal vus par le pouvoir socialiste de l'époque, car considérés comme des riches, issus des classes bourgeoises pouvant «parasiter» la construction socialiste du pays. C'est donc avec l'indépendance que l'Etat algérien décide de mettre en place une nouvelle forme de vente du détail sous une forme socialiste, appelée magasins pilotes socialistes. Mais les structures disparaîtront rapidement en raison de leur impréparation. Et ce sont les privés qui vont faire main basse sur le secteur de la distribution de détail, jusqu'à l'arrivée des fameux SNNGA, les Galeries algériennes (devenues plus tard EDG après la restructuration), suivies par les Souk El Fellah de l'OFLA (Office des fruits et légumes). Ces deux entreprises étatiques vont ouvrir et gérer des supermarchés dans le cadre des différents plans de développement. En matière de commerce, l'Etat va promulguer un texte fondamental, la Charte nationale qui stipule que «l'Etat doit assurer une position de force dans les transactions commerciales, assurer l'approvisionnement du pays, éviter qu'en aval des importations le secteur privé se constitue en intermédiaire détournant à son profit le monopole de l'Etat». Mais l'interventionnisme de l'Etat socialiste va tourner court, permettant aux petits commerçants de survivre et de prospérer. En dépit de la construction de plusieurs dizaines de ces grandes surfaces, leur franc succès populaire et la disponibilité des produits, notamment la production nationale, l'Etat décidera de dissoudre toutes ces entités pour plusieurs raisons pas toujours objectives. Cette dissolution de ces géants de la distribution de détail va ouvrir définitivement le passage aux privés, qui vont investir le grand créneau, la supérette avant de se lancer dans l'ouverture des supermarchés et des hypermarchés à partir des années 1990 . Pourtant, l'âge d'or des SEF et autres Galeries va disparaître dès le début des années quatre-vingt pour des histoires de mauvaise gestion, les offres inadéquates et inappropriées, les financements sur fonds propres préjudiciables et les déséquilibres structurels, la bureaucratie financière et les grandes contraintes d'approvisionnement et de stockage. Un exemple de ce succès populaire et le développement de la grande distribution des entreprises publiques : en termes de superficie commerciale, on est passé de 143 700 m2 en 1980 à 721 000 m2 en 1983, date à laquelle on dénombrait quelque cinq cents unités de vente publiques contre seulement 90 trois ans plus tôt. En termes de chiffres d'affaires, c'est le même constat avec des progressions énormes aussi bien pour les SEF que les unités de la SNNGA. La grande revanche Aujourd'hui, ces vestiges des Souk El Fellah et autres galeries sont récupérés et vendus pour redevenir ces grandes surfaces pour des opérateurs privés. Une petite «revanche» des libéraux après deux décennies de conflits et de sourdes batailles de domination dans ce secteur névralgique. A partir des années 1990, l'Etat tourne le dos aux principes socialistes de la Charte nationale et autorise les entreprises non détentrices de monopole à importer des produits de large consommation. Quatre ans plus tard, l'Etat achève le processus de démonopolisation et s'engage sur la voie de la libération des prix. Le 26 février 1995 est promulguée l'ordonnance sur la concurrence qui stipule dans son article 5 que «les prix des biens et services sont gérés par la concurrence». Le professeur Nouiri de l'institut national du commerce évoque cette période : «Les établissements publics de distribution de détail allaient de mal en pis. La concurrence avec le privé va leur être fatale. Les gestionnaires des EDG et des SEF se plaignent de la politique des deux poids, deux mesures qui est appliquée en leur défaveur par l'Etat. Ils sont contraints à l'achat de leurs marchandises sur facture uniquement, ce qui n'est pas le cas des commerçants privés. Bien peu de producteurs et autres grossistes s'astreignent à cette discipline de vente avec document, ce qui va désavantager lourdement les grandes surfaces : leur champ d'intervention va se trouver limité par un approvisionnement devenu aléatoire et sélectif, ainsi que l'intégration de la TVA, nouvellement instaurée, ce qui rendait les prix moins attractifs.» Selon Nouiri, «toutes les dissolutions des entités publiques n'ont pas grippé le système de distribution. La disparition des grandes surfaces étatiques est due à l'arrivée de nouvelles surfaces privées avec des pratiques déloyales et une compression de frais, de nouveaux comportements de la clientèle, l'importance du marché informel, la spécialisation des concurrents privés et les nombreux avantages accordés à la concurrence». C'est d'ailleurs à cette même période que naissait les grands marchés «anarchiques» de l'informel, comme «Dubai» ou Hamiz.