Avant même qu'il soit lu, le livre de Khaled Bentounès Soufisme, l'héritage commun, édité à l'occasion du centenaire de la tariqa allawiya, dont les festivités se déroulent depuis vendredi dernier à Mostaganem, a suscité la polémique en Algérie. Et pour cause, l'auteur du livre, l'actuel guide spirituel de la tariqa allawiya, a publié des miniatures perses de l'ère musulmane représentant le Prophète Mohammed (Qsssl) et les anges ainsi qu'une photo de l'Emir Abdelkader enchâssée dans l'étoile de David. Première à réagir, l'association des oulémas a dénoncé le livre et demandé aux autorités politiques du pays de le saisir. Lui emboîtant le pas, le Haut conseil islamique a demandé à l'auteur du livre d'«ôter les images qui ont suscité la controverse où, à défaut, les masquer par quelque autre procédé pour apaiser la situation et régler ce problème monté de toutes pièces». «Ces images anciennes sous forme de miniatures et d'images populaires sont loin d'être fiables. Certaines images sont osées. Les savants de l'islam dans la majorité du monde musulman ont désapprouvé ce fait», a dénoncé le HCI. Mais qu'en est-il du livre ? Pour fêter le centième anniversaire de la naissance de la tariqa allawiya, Khaled Bentounès a écrit un livre retraçant l'histoire des musulmans de l'époque de sidna Ibrahim à nos jours, le parcours de cent ans de la voie soufie, la vie des prophètes, la naissance des écoles du fiqh, l'histoire du tasawouf et des 46 cheikhs qui ont précédé le fondateur de la tariqa allawiya (Abou El Hassen Chadili, Darqawi, Ahmed Zerrouk El Bernousi…). Le livre traite également des préceptes de l'islam (l'amour, la fraternité, l'entraide…). Le livre contient des photos réelles d'endroits qui font partie du patrimoine culturel et religieux tels que le mausolée de sayida Khadidja, la tombe de sayida Fatima Zahra… «Ces endroits n'existent plus aujourd'hui. La publication des photos dérange ceux qui ont détruit ces endroits, c'est-à-dire les wahhabites», explique Nasser Eddine Mouhoub, porte-parole de l'association Cheikh Allawi. Notre interlocuteur ne comprend pas pourquoi ces mausolées ont vécu pendant des siècles avant qu'ils ne soient détruits par les wahhabites au début du 20e siècle. La publication des miniatures du Prophète est-il haram ? Alors que le HCI considère que les images sous forme de miniatures contenues dans le livre de Khaled Bentounès sont loin d'être fiables, Nacer Eddine Allawi souligne que ni le Coran ni la sunna n'interdisent la publication de miniatures du Prophète. «Le haram et le halal sont connus de tous. Maintenant si le HCI et les oulémas nous présentent un seul texte du Coran qui interdit la représentation du Prophète par des miniatures, nous sommes prêts à les retirer», affirme M. Mouhoub. A la lecture du livre sur la vie de Ibn Hicham, explique notre interlocuteur, le Prophète est décrit (sa taille, la couleur de ses yeux, ses cheveux…) «Lorsqu'un artiste lit le livre, il peut facilement imaginer le Prophète pour peindre son portrait», indique M. Mouhoub, en soulignant par ailleurs que les miniatures publiées dans le livre ne sont pas réalisées par son auteur. Considérant que ces miniatures sont un patrimoine de l'islam et de l'humanité, notre source indique qu'elles sont exposées dans des musées en Turquie, en Afghanistan, en Egypte... Et de rappeler que dans les années 70, dans toutes les maisons algériennes, on trouvait ces miniatures représentant les anges. «Est-ce que dans les années 70 il n'y avait pas de musulmans ?», s'interroge notre interlocuteur. La photo de l'Emir Abdelkader enchâssée dans l'étoile de David a déjà été publiée en 2007 La publication d'une photo de l'Emir Abdelkader enchâssée dans l'étoile de David est vivement critiquée par le HCI qui qualifie cette étoile de symbole du sionisme «connu pour son hostilité envers l'islam». Rejetant les propos du HCI, M. Mouhoub affirme que l'étoile de «sidna Daoud» figure dans toutes les infrastructures religieuses. «Cette étoile existe au niveau de Djamaa Kebir d'Alger, de la mosquée Emir Abdelkader de Constantine, construite dans les années 80, d'El Azhar...», souligne notre source. Et de s'interroger : «Allons-nous démolir toutes ces mosquées ?» Par ailleurs, le porte-parole de l'association Cheikh Allawi affirme que la photo, sujet de controverse, a été reproduite d'un livre édité en 2007 par la Fondation Emir Abdelkader à l'occasion du bicentenaire de l'Emir. «Ce livre a été réalisé avec des financements du ministère algérien de la Culture», ajoute M. Mouhoub. «Pourquoi en 2007 personne n'avait dénoncé la publication de cette photo ? Est-ce que les gens ne lisent pas ?» «Est-ce que certains ne réagissent que lorsque cela vient de la tariqa allawiya ?» Ce sont des questions que posent les adeptes de cheikh Khaled Bentounès. Enfin, concernant la réponse que réservera la tariqa allawiya à la demande du HCI d'ôter les photos, M. Mouhoub affirme qu'elle est en étude. «Nous avons lu le communiqué. Nous allons agir dans le sens de l'apaisement et de la compréhension demandé par le HCI», souligne M. Mouhoub. La suppression des miniatures n'est pas à l'ordre du jour «Nous attendons l'arbitrage des hautes autorités politiques et religieuses pour décider du sort à réserver aux miniatures du Prophète et des anges publiées dans le livre de cheikh Khaled Bentounès», déclare, au Temps d'Algérie, Adda Bentounès, président de l'association Cheikh El Alawi pour l'éducation et la culture soufie. «Nous sommes convaincus que nous sommes dans le droit chemin et que la publication des miniatures représentant le Prophète n'est pas interdite par le Coran», ajoute notre interlocuteur. Et d'ajouter : «C'est grâce à ces miniatures que l'islam a introduit beaucoup de pays, du moment qu'à l'époque il se posait le problème de la langue.»