Du fait d'avoir négligé leur héritage spirituel, certains se sont tournés vers des écoles plus rigoristes. Le cheikh de la Tariqa alawiya, Khaled Bentounès a déclaré, jeudi dernier lors d'une conférence de presse, que «la réussite du congrès international sur le soufisme», organisé depuis une semaine à l'université de Mostaganem, «prouve que l'Algérie est une terre de savoir, de science et d'amitié». Le cheikh Bentounès a ensuite affirmé que ce congrès «a permis d'instaurer un débat de qualité autour de différentes questions de l'heure: scientifiques, culturelles, écologiques et spirituelles». Il a ajouté dans le même sillage, que cette rencontre vise à redonner à l'Algérie et à ses personnalités du soufisme et de savoir leur place et leur notoriété en déclarant: «Nous avons cherché une voie rassembleuse des membres de la société quelles que soient leurs opinions et leurs tendances.» Il a ensuite fait rappeler que les invités d'une quarantaine de pays de la planète «sont venus pour soutenir cette démarche et démontrer que l'espoir demeure au sein de l'humanité». Pourtant ce ne fut guère facile pour ce fils héritier de Hadj Adda le fondateur de la Tariqa Alawiya qui a dû faire face durant une semaine à des critiques venant surtout de l'Association des ouléma algériens et du Haut Conseil de l'Islam (HCI) qui ont visé surtout l'ouvrage publié par Bentounès, portant le titre: Soufisme, l'héritage commun, édité à l'occasion du centenaire de la Tariqa et financé par le ministère de la Culture. L'auteur a publié des miniatures perses de l'ère musulmane représentant le Prophète Mohamed et les anges. L'Association des ouléma a dénoncé le livre et demandé aux autorités politiques sa «saisie». A son tour, le Haut Conseil islamique a exigé de l'auteur du livre d'«ôter les images qui ont suscité la controverse ou, à défaut, les masquer par quelque autre procédé pour apaiser la situation et régler ce problème monté de toutes pièces». Le communiqué du HCI, l'instance suprême de l'Islam en Algérie, a indiqué pour étayer son réquisitoire que ces images anciennes sous forme de miniatures et d'images populaires «sont loin d'être fiables. Certaines images sont osées. Les savants de l'Islam dans la majorité du monde musulman ont désapprouvé ce fait». Un responsable de la Tariqa, Nassreddine Allawi a rétorqué que «ni le Coran ni la Sunna n'interdisent la publication de miniatures du Prophète. Le haram et le halal, dit-il, sont connus de tous. Maintenant si le HCI et les ouléma nous présentent un seul texte du Coran qui interdise la représentation du Prophète par des miniatures, nous sommes prêts à les retirer», avait-il prévenu. La publication d'une photo de l'Emir Abdelkader enchâssée dans l'étoile de David a été également mise à l'index par le HCI. Rejetant ces propos, la Tariqa affirme que l'étoile de David figure dans toutes les infrastructures religieuses: «Cette étoile existe au niveau de Djamâa El Kebir d'Alger, de la mosquée Emir Abdelkader de Constantine, construite dans les années 80, d'El Azhar en Egypte...» Mais pour le président de l'association, le cheikh Al Alawi, la suppression des images relève des seules prérogatives des hautes autorités politiques et religieuses «pour décider du sort à réserver aux miniatures du Prophète et des anges publiées dans le livre de cheikh Khaled Bentounès». Lors d'un séminaire regroupant les religions du monde organisé en avril 2003 par le Grand Monastère de Grand-Champ en France, le président de la Tariqa Alawiya avait soutenu lors de son intervention que l'Algérie, mais aussi toute l'Afrique du Nord a toujours développé un Islam de tolérance et d'ouverture: «regardez, avait-il dit, la vie de l'Emir Abdelkader. Il a bien sûr été un héros qui a combattu la France pour libérer son pays, mais il fut en même temps un homme d'une ouverture considérable. Par exemple, il a sauvé plus de 16.000 chrétiens de Syrie, lors de son séjour dans ce pays, au détriment de sa vie en s'opposant à ceux qui voulaient en découdre avec eux et les massacrer (...)». Selon lui, l'Algérie paie encore ce «lourd handicap» jusqu'à aujourd'hui avec l'intégrisme qui s'est développé depuis. Du fait, dit-il, d'avoir négligé leur héritage spirituel, certains se sont tournés vers l'Arabie Saoudite, vers le wahhabisme, et même vers des écoles plus rigoristes. L'Algérie est aussi «un pays du Milieu» traversé par différents courants: «C'est justement ce lien spirituel dans la population, ce lien fraternel qui faisait l'unité de l'Algérie en dépassant les liens tribaux. L'Algérie est faite de tribus. Il y a des Berbères, des Arabes. Parmi les Berbères, il y a des Kabyles, des Chaouia, des Touareg. C'est une mosaïque. Les confréries soufies tissaient la trame de l'âme algérienne la rendant plus ouverte, plus universelle» dira-t-il encore. Pour lui, la priorité était la modernisation, l'économie, la formation des cadres: «C'est vrai, nous n'avons rien à voir avec la pensée de l'Arabie Saoudite, ni des extrémistes de tout bord.»