Chaïba est l'exemple type de ces villages que l'on traverse sans y prêter attention. Blottie entre deux communes riches, elle se morfond dans un marasme qui rebute ses propres habitants. Les jeunes surtout qui fuient la canicule de l'été pour d'éphémères moments au bord de la mer, toute proche mais si lointaine. Mercredi, la situation a failli dégénérer à Chaïba. Des dizaines de jeunes, excédés par les coupures fréquentes de courant et la pénurie d'eau qui affecte leur village, avaient bloqué la route et interdit tout mouvement entre le village et les deux chefs-lieux de communes limitrophes, Koléa et Khemisti. Fort heureusement, les «émeutiers» sont revenus à de meilleurs sentiments après que les autorités eurent promis des solutions urgentes à ces deux problèmes. «Ces problèmes sont d'ailleurs communs à toutes les localités rurales éparpillées à travers le Sahel», relève Mustapha Mehdji, adjoint au maire de Chaïba. «Mais vous devez le comprendre, un été sans eau et des coupures de courant qui plongent plusieurs quartiers dans le noir, ça ne peut plus se concevoir en 2009, surtout que notre village est situé à 40 km à peine d'Alger», ajoute encore notre interlocuteur. Tout autant que ses administrés, l'élu est outré par la répétition à l'excès de ces ruptures de courant électrique, le soir surtout, qui privent une bonne partie de la population de son passe-temps favori, la télévision et la pétanque, les deux principales distractions dans un village qui se referme sur lui dès la tombée de la nuit. Les visiteurs ne sont pas nombreux ici, seuls quelques automobilistes avisés de retour des plages de Tipaza traversent le village pour rejoindre les villes de la Mitidja. Ce raccourci leur évite les inextricables embouteillages qui se forment sur la nationale 11. A part ces intrus nocturnes, c'est le calme blanc. «C'est ce qui donne son charme au village car le soir, on se retrouve entre nous à discuter dans un café ou à nous promener le long des rues calmes du village jusqu'à des heures tardives et surtout à encourager les joueurs de boules», nous dit Ahmed, artisan-ébéniste dans un atelier de menuiserie à Koléa. En compagnie d'un groupe d'amis, il lui arrive, dit-il, de suivre les parties animées de pétanque au boulodrome jusqu'à l'aube. Plus que le football, la pétanque à Chaïba et Saïgh déchaîne les passions, surtout quand les joueurs chevronnés entrent en lice. Des structures à l'état embryonnaire A Chaïba comme à Berbessa, Tertaka ou Saïgh, les trois agglomérations secondaires qui lui sont rattachées, la vie est rythmée l'été par les veillées nocturnes, la pétanque, le farniente mais aussi le travail dans les champs. Commune rurale par excellence, Chaïba renferme des terres agricoles assez riches où se pratique un maraîchage intensif, l'arboriculture fruitière et la viticulture. Les besoins en main-d'œuvre saisonnière sont énormes mais, depuis quelque temps, les agriculteurs trouvent de moins en moins de bras à employer. Les jeunes du cru exigent une rétribution de plus en plus conséquente, obligeant les exploitants à recourir à la main-d'œuvre d'autres régions, en particulier Aïn Defla et Médéa. «Travailler la terre en été reste pour beaucoup de jeunes la seule solution pour ne pas céder à l'oisiveté», nous explique M. Hammadouche, réalisateur de télévision demeurant depuis une quinzaine d'années à Chaïba. Très bon observateur, il a vu que sa ville d'adoption ne dispose pas d'équipements adéquats pour les jeunes qui s'ennuient «à l'envi» durant les trois mois d'été. «Ou ils travaillent dans l'agriculture, ou ils font la sieste sous les arbres qui bordent les routes», dit-il. Car ici, il n'y a pas de maison de jeunes ni de centre culturel. La bibliothèque communale est encore à l'état de structure en béton ; il faudrait au moins deux longues années de travaux pour la rendre fonctionnelle. C'est aussi le cas de la salle omnisports, entièrement achevée mais qui reste à équiper et dont l'ouverture ne peut se décider qu'à l'automne. Le stade communal, fermé depuis des années, connaît quelques travaux d'importance pour sa mise à niveau. Des tribunes devant contenir quelque 5000 spectateurs sont en voie d'achèvement. La clôture aussi mais pas le terrain qui demande à être refait complètement. Là aussi, il faut attendre encore plusieurs mois pour que la structure puisse abriter les premières rencontres. Il en est de même pour les deux terrains Matico et le futur stade de Saïgh, encore à l'état de projet. Toute proche mais si lointaine,la mer C'est cette indigence en moyens qui a fait péricliter l'activité sportive dans la commune qui, faut-il le préciser, a produit les meilleurs joueurs de pétanque d'Algérie. Les jeunes ont beaucoup de ressentiments envers les élus qu'ils accusent de ne pas avoir fait du bien à la commune. Pour preuve, avance Sofiane, étudiant à l'université de Blida, «il n'y a même pas un projet de stade à Saïgh ou Berbessa qui sont quand même de grandes villes». Selon lui, «les élus devraient faire preuve d'imagination pour que les jeunes s'adonnent à des loisirs sains au lieu de verser dans la drogue». Pour échapper à l'ennui, nombreux sont les jeunes qui désertent leur village pour se rendre sur les plages de Douaouda ou Zéralda. Par petits groupes, ils empruntent les minibus qui sillonnent la région. On se rend à la mer en empruntant deux itinéraires : de Chaïba, on se rend à Khemisti. De là, on se dirige vers la gare routière de Bou Ismaïl où l'on peut emprunter des bus en partance sur Douaouda et Zéralda. Sinon, on se rend à Koléa où l'on emprunte les minibus assurant les liaisons sur Douaouda et Zéralda. Le transport coûte cher et les escales longues et fatigantes. N'empêche, ces virées en bord de mer permettent une évasion salutaire pour les jeunes qui acceptent mal de passer des journées entières à ne rien faire dans leurs villages. Loin des yeux, loin du cœur Au niveau de l'APC, on reconnaît n'avoir pas fait grand-chose en direction de la jeunesse. M. Mehidj, qui assure l'intérim du maire, avoue que l'assemblée n'est pas directement responsable du marasme. «La commune vit exclusivement des subsides que lui alloue la wilaya de Tipaza et son plan de développement dépend du bon vouloir de la tutelle hiérarchique», explique-t-il, ajoutant que les propositions de l'APC ne trouvent souvent pas preneur, en particulier lorsqu'il s'agit de résoudre quelques questions essentielles pour le bien-être des 23 000 habitants de la commune. En premier, l'emploi qui devient de plus en plus problématique. «Avec le gel du filet social et des dispositifs d'emploi, on est vraiment dans l'embarras. D'ailleurs, nous ne pouvons même pas recruter des jeunes pour les services de l'APC lesquels, par ailleurs, manquent de personnel technique qualifié». Plus inquiétants sont les problèmes de l'eau potable et de l'assainissement. Les réseaux ont été conçus il y a une vingtaine d'années pour une population n'excédant pas les 10 000 habitants. Depuis, Chaïba et ses agglomérations se sont agrandies, imposant en conséquence leur redimensionnement. «C'est le même problème qui se pose avec l'électricité», dit Ahmed, qui gère un commerce de matériaux de construction à Saïgh. «On nous promet depuis des mois un nouveau transformateur, mais à ce jour, nous n'avons rien vu». Pour cela et pour tant d'autres choses qui tardent à voir le jour, l'adjoint au maire y va volontiers de son explication : «Chaïba est malheureuse parce qu'elle vit cachée. Elle n'est pas aussi visible pour les responsables que Zéralda, Douaouda, Bou-Ismaïl ou Tipaza». Pour lui, «celui qui a dit que lorsqu'on est loin des yeux on est loin du cœur n'a pas eu tort».