Des sacrifices, des sacrifices et de… l'espoir. Aimer son pays, son village et sa terre natale comme Mana, c'est presque rare, consentir à d'énormes sacrifices pour le développement de la cité, c'est encore rare, espérer quand tout est gris, c'est exceptionnel. L'histoire de Mana, cette quinquagénaire tenancière d'un café-restaurant à Theniet El Had dans la wilaya de Tissemsilt est unique en son genre. Dans cette ville qui, bien que datant de l'époque de l'Emir Abdelkader, garde tenacement ses mentalités rétrogrades, des mentalités de montagnards, d'une époque révolue où la femme était considérée comme faisant partie du décor et bonne qu'au repos de l'homme, une femme faisant encore jeune derrière le comptoir, c'est un défi. C'est aussi un tabou brisé, une révolte qui a surpris toute la gent masculine en cette période du terrorisme. En effet, en 1998 après 30 ans d'exil, Mana alors mère de quatre enfants décide de revenir au bercail pour investir dans l'hôtellerie et la restauration, un métier acquis au fil de sa longue expérience. «Là-bas, la vie ne pardonne pas» A vingt ans, T. Mana s'installe en France, à Paris, où elle exerce plusieurs métiers. Femme de ménage, serveuse, cuisinière, vendeuse, nurse avec des salaires parfois dérisoires, elle se privait de tout malgré son âge. «J'ai travaillé dur, je ne me reposais que trois à quatre heures», dit Mana. Notre interlocutrice n'était pas dépensière. Elle avait constaté que des gens partis de rien s'étaient retrouvés avec des fortunes. Elle économisait chaque sou qui lui tombait entre les mains. «J'ai trop souffert, je ne pensais qu'à l'avenir de ma petite famille, car là-bas en France la vie ne pardonne pas», ajoute-t-elle. Après vingt longues et pénibles années de travail dur, de privations et de sacrifices, Mana s'achète un bistrot à Paris. Malgré son nouveau statut, elle préparait la cuisine, faisait elle-même le ménage, la vaisselle et servait ses clients. «Je n'avais qu'une idée en tête, c'était de ne plus donner l'occasion à la misère de s'approcher de moi», affirme-t-elle. Mana n'a pas voulu que ses enfants aient une éducation à la française. «Nous avons des principes et des coutumes dont nous devons être fiers», dit-elle bravement. Supportant l'éloignement de cette partie de sa chair envoyée à Theniet El Had pour étudier et apprendre les valeurs morales de l'Algérie profonde, Mana avait le choix entre vendre son petit restaurant pour en acheter un plus grand à Paris ou carrément investir dans ce créneau dans sa ville natale. La bataille a été rude Ainsi, en 1998 au moment où de nombreux algériens, toutes catégories sociales confondues, enduraient des queues interminables devant les consulats étrangers, payaient des pots-de-vin, acceptant les pires humiliations pour un visa, Mana, apprenant que la wilaya avait inscrit le projet d'une gare routière sur la RN 14 qui traverse la ville, s'adresse aux autorités de wilaya afin de déposer un dossier d'investissement, une idée très vite approuvée par le wali de l'époque. Ainsi, elle finit par s'installer définitivement dans son bled. En 1999, son projet inauguré, les tracasseries commencent. Une femme gérant un café où la clientèle est exclusivement masculine n'est pas chose aisée pour cette dame revenue avec les mentalités d'outre-méditerranée. «Tout le monde me regardait de travers, j'étais le principal sujet de discussion des hommes comme des femmes», avoue-t-elle. Cette situation ne l'embarrasse guère. Obstinée, décidée à combattre les mauvaises langues, la nouvelle patronne résiste jusqu'aux obstacles de la bureaucratie locale. «J'ai eu des difficultés pour trouver un personnel qui accepte d'être dirigée par une femme», indique-t-elle. La bataille a été très rude, elle avait appris à résister pour finalement s'imposer dans un milieu misogyne. Mana, fière d'avoir participé à l'évolution et à l'émancipation de la femme dans cette contrée conservatrice, souligne que depuis deux ans les mentalités ont changé envers elle. «De nombreuses femmes ont pris des initiatives en se libérant du joug de leurs maris et parents, des filles qui conduisent des voitures, d'autres qui vont seules à El Khemis, Blida, Tissemsilt ou Tiaret sans se faire accompagner par un proche», affirme-t-elle. Cette patronne pense également à ces centaines de jeunes filles diplômées des grandes écoles souffrant du chômage et du diktat de leur famille. «Elles n'ont pas d'autre solution que de partir à Alger et de subir les conséquences de l'éloignement», ajoute-t-elle. La frilosité des responsables locaux Notre interlocutrice regrette que la localité soit si pauvre. Avec la fermeture des entreprises publiques locales, le chômage a pris des proportions alarmantes à Teniet El Had où la population n'a cessé de croître. «Il n'y a pas d'investissement bien que la RN 14 qui desserve l'autoroute Est-Ouest soit animée», signale-t-elle. Mana aime voir sa ville se développer. Il manque un hôtel dans la ville des Cèdres. Elle est disposée à y investir pour peu que les autorités de la wilaya adhèrent à son idée. Envers les autorités municipales ou de wilaya, la commerçante qui emploie 5 personnes à temps plein et une dizaine de vacataires rencontre des difficultés pour rencontrer le P/Apc de Theniet El Had ou le wali de Tissemsilt. «A ce dernier, j'ai adressé trois demandes d'audience, je me suis déplacée au moins quatre fois pour exposer mes doléances, mais on me répète à chaque fois qu'il est en réunion et qu'il ne peut pas me recevoir», confie-t-elle en soulignant : «Je ne vais pas pour moi ou pour mes gosses, mais pour le développement de la localité.» Elle souhaite voir sa ville natale sortir de sa léthargie. «Les idées existent, les terrains existent, la main d'œuvre aussi, mais ce qui manque à Theniet El Had, c'est la volonté politique, une décision des responsables», conclut-elle. Les responsables seront-ils sensibles à cet appel du cœur de cette dame que de nombreux Thenietiens ont fini par adopter en lui faisant parfois une révérence ?