Des «sources diplomatiques» ont indiqué à l'agence de presse espagnole EFE que les discussions «informelles» entre le gouvernement marocain et le Front Polisario ont débuté lundi à Vienne dans la plus grande discrétion, en présence de M. Christopher Ross, envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies. Les deux parties se sont entendues pour ne faire aucune déclaration à la presse, au point que même le lieu de la rencontre a été tenu secret. Une précaution décidée par le médiateur de l'ONU pour éviter à ces discussions, dont le seul objectif est de s'entendre sur la reprise d'un cinquième round de négociations, de s'orienter vers l'impasse des quatre rencontre sprécédentes, à Manhassat (Etats-Unis). Le respect de la légalité internationale M. Christopher Ross sait combien sa tâche est délicate et la moindre déclaration publique des négociateurs pourrait compromettre les chances d'une reprise du dialogue direct entre les Marocains et les Sahraouis, qui avait fait naître, au départ, un espoir prudent d'une solution au conflit sahraoui, vieux maintenant de plus de 3 décennies. Une solution que le Front Polisario veut qu'elle soit recherchée dans le cadre des Nations unies, à travers des négociations directes avec la puissance occupante du Sahara Occidental, ce qui est le cas en ce moment, et qui ne fasse pas l'impasse sur le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui. C'est sur l'évocation de ce principe reconnu par la communauté internationale aux peuples et aux territoires coloniaux, comme c'est le cas de l'ancienne colonie espagnole, que les précédents rounds ont buté. Officiellement, la délégation marocaine aux négociations de Manhassat ne rejette pas le droit à l'autodétermination. Elle en limite l'application à son seul plan d'autonomie pour le Sahara occidental. Concrètement, le Maroc propose aux Sahraouis de se prononcer sur ce plan sans autre choix que de l'approuver. Nous sommes loin d'un référendum prévu par le «Plan de règlement» de 1991, accepté par feu Hassan II, qui propose deux solutions : l'annexion ou l'indépendance. L'initiative du roi Mohamed VI, dont l'inspirateur est le ministre espagnol des affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, ne prévoit même pas d'alternative à un rejet du plan d'autonomie marocain par les Sahraouis. Tout se passe come si le «oui» était acquis d'avance, ce qui ne rend que plus suspecte encore la volonté politique du Maroc et des pays qui le soutiennent, la France et l'Espagne, de contribuer à l'émergence d'une solution politique négociée sur le Sahara occidental dans le respect de la légalité internationale. M. Ross sait que sa mission n'est pas aisée et risque donc de prendre du temps. En diplomate de carrière, il est conscient des difficultés en présence et des atouts qu'il a en main mais qui peuvent ne plus avoir la même valeur selon la conjoncture politique du moment. Des difficultés et des atouts en main La première difficulté, c'est le refus des autorités marocaines de se conformer aux résolutions des Nations unies sur le Sahara occidental dont la dernière, en avril dernier, sur la prorogation du mandat de la Minurso pour une année, réaffirme le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination. La monarchie marocaine joue pratiquement sa survie dans l'affaire du Sahara occidental dont elle a fait le principal «enjeu national». Le médiateur de l'ONU n'ignore pas, par ailleurs, que pour convaincre Rabat de se conformer à la légalité internationale, il faut aussi convaincre Paris et Madrid de ce même principe. Ce qu'il a tenté de faire par deux fois, en l'affirmant haut et fort depuis Tindouf, lors de sa première tournée maghrébine. Rien ne permet, cependant, de conclure que les gouvernements français et espagnol aient entendu son message ou que ces deux capitales soient mieux prédisposées que par le passé pour faire entendre raison à la puissance occupante du Sahara occidental. «Les intérêts d'Etat de ces deux puissances occidentales sont trop importants au Maghreb», estiment les analystes qui suivent l'évolution de la question sahraouie. En revanche, la médiation de M. Ross intervient dans une conjoncture politique internationale plutôt favorable à la cause sahraouie. Le climat dans lequel elle intervient est différent des conditions diplomatiques créées autour de la question sahraouie par son prédécesseur, le diplomate hollandais Peter van Walsum, remercié par le SG de l'ONU pour avoir ouvertement pris partie pour l'un des protagonistes. Walsum avait été disqualifié pour avoir fait l'impasse sur le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui en qualifiant de «peu réaliste» l'option de l'indépendance. Ce qui, concrètement, traduisait la position de la France et de l'Espagne qui n'ont jamais fait mystère de leur soutien au plan d'autonomie marocain. Jusqu' à son départ, le médiateur européen n'a jamais évoqué le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination. Au contraire, tant son prédécesseur à cette fonction, l'ex-secrétaire d' Etat James Baker, que son compatriote Christopher Ross n'ont jamais évacué ce principe majeur du droit international sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Dans l'esprit des deux diplomates américains, il s'agit d'un cas de décolonisation auquel s'applique la résolution 1514 sur le droit à l'indépendance des pays et des peuples coloniaux. Dans celui du médiateur européen, seul «le réalisme politique» peut servir de base au règlement du conflit sahraoui. C'est encore à ce jour la position défendue par Rabat avec le soutien de Paris et de Madrid. Le poids des Etats-Unis Il est évident que la passivité de la communauté internationale a aidé à faire durer le statut quo favorable à Rabat. L'absence des Etats-Unis sur ce terrain diplomatique a donné plus de poids à la diplomatie européenne conduite par le duo Paris-Madrid. Il semble que ce n'est plus le cas depuis que Barack Obama a clairement ignoré le plan d'autonomie marocain qu'il sait d'inspiration européenne. Dans son message en juillet dernier au roi Mohamed VI, il n' a laissé planer aucun doute sur son appui à la médiation du diplomate américain Christopher Ross. C'est un grand atout aux mains de l'envoyé personnel du secrétaire général de l'ONU. M. Ross sait qu' il peut compter sur le soutien des organisations humanitaires internationales, choquées par la brutalité des forces d' occupation marocaines au Sahara occidental et, également, sur les parlementaires européens dont le rapport d'enquête sur la situation dans l' ex-colonie espagnole, en janvier dernier, a terni l'image de la «jeune démocratie marocaine» tant vantée par Rabat et Madrid. S'il est logiquement acquis qu'à Vienne, les négociations informelles d'hier pourraient être suivies d'une rencontre plus officielle entre les délégations du Maroc et du Front Polisario, il n'est pas évident qu'une esquisse de solution pour le Sahara soit envisageable dans le court ou le moyen terme. Pour cela, il faudrait que le Conseil de sécurité se décide à imposer une solution conforme à la légalité internationale. Ce à quoi résistent Madrid et Paris. A moins que les Etats-Unis se décident, eux, à s'impliquer dans le processus de règlement du conflit du Sahara Occidental.