Après avoir été, durant une décennie, un véritable coupe-gorge redouté par tous les voyageurs et les routiers se déplaçant en direction de Médéa ou vice-versa, les gorges de la Chiffa ont retrouvé aujourd'hui toute leur attractivité et drainent quotidiennement des familles qui viennent y piqueniquer et y découvrir les splendeurs de la nature mais également nouer connaissance avec les singes. Situées à mi-chemin entre la ville de Médéa et Blida, les féeriques gorges de la Chiffa font l'objet d'une ruée quotidienne de la part de centaines de familles qui renouent avec ce site sujet à toutes les appréhensions durant la décennie noire. Les familles continuent d'affluer. Sur la route, le dispositif de sécurité, assuré par les éléments de la gendarmerie nationale, se fait très discret. Fondus parmi la foule en tenue banalisée, ils surveillent les alentours au même titre que les militaires dans les guérites construites sur les crêtes des montagnes abruptes. Les gorges qui serpentent offrent un magnifique spectacle aux nombreuses familles qui marquent un arrêt pour voir les singes. Les enfants sont subjugués par le spectacle mais c'est surtout les singes qui attirent leur attention. Les plus impétueux s'aventurent à leur tendre de la nourriture. Les primates ne semblent pas perturbés par la foule et d'autres se donnent en spectacle au bonheur des enfants. Ils permettent même aux visiteurs de poser en photo. Des petits singes s'agrippent à des arbres et sautillent d'une branche à une autre, suscitant l'émerveillement des enfants ainsi que des parents qui les accompagnent. Un vieux singe donnant l'impression d'être le chef du groupe surveille les petits singes qui batifolent. Les voltiges exécutées par ces singes semblent être des messages de bienvenue qu'ils adressent aux visiteurs. Les multiples vendeurs de figues de Barbarie, de cigarettes, de cacahuètes et autres friandises en profitent et tentent de charmer les parents en offrant des friandises et fruits à leurs chérubins. Devant une source où viennent s'abreuver les singes, des jeunes ont installé des perchoirs sur lesquels sont perchés des paons aux longues plumes aux couleurs irisées. Les plumes de ces oiseaux auxquelles on attribue des pouvoirs de porte-bonheur sont vendues à 100 DA l'unité. A l'entrée des gorges et aux abords de la route serpentine qui longe les gorges se trouve le célèbre Ruisseau des singes. Une plaque portant l'inscription Ruisseau des singes est érigée à côté d'un ruisseau déserté par les singes. Une clôture et une porte, donnant accès au parking d'un restaurant huppé, construit près de ce ruisseau, pour des raisons évidentes, tranche avec la nature du site. Plutôt que de se rendre au ruisseau en question, les familles optent pour les autres ruisseaux constitués çà et là et ruisselant le long des falaises abruptes telles de petites cascades. Pour cela, il leur faudra traverser le premier tunnel dont l'embouchure accède au féérique site des gorges de la Chiffa, réputées pour être un site de communion entre les hommes et les singes. Les pêcheurs de carpes Profitant de la quiétude qui y règne, des familles empruntent des petits sentiers menant au lit de la rivière en contrebas de la route. Sous le regard des services de sécurité, ces familles piqueniquent en divers endroits tandis que les enfants se baignent dans des bassins d'eau qui se sont formés en différents endroits. A notre grande surprise, nous prenons connaissance de la présence de carpes. «Nous savons que chaque année, elles remontent les rivières pour y pondre des œufs qui écloront au printemps», nous lance un jeune qui, tout en exhibant un poisson que son copain venait d'extirper d'un petit filet. «Il y a de véritables pièces pesant des kilogrammes, mais pour les prendre, il faut remonter la rivière jusqu'à des endroits où l'eau est plus profonde», explique-t-il avant de nous livrer la façon dont il faut s'y prendre pour cuisiner le poisson d'eau douce. «Il faut le plonger dans du vinaigre pendant une nuit et puis l'assaisonner d'ail et de poivre noir et le laisser quelques heures au frigo», nous indique ce jeune qui précise que «la deuxième façon est de le plonger dans du sel iodé durant quelques heures, voire une nuit avant de le consommer». Quelques mètres plus loin, d'autres marres d'eau sont envahies par des femmes accoutrées de hidjab. Le père ou le grand frère scrute l'horizon tandis que la mère, assise à l'ombre, prépare le festin. Comme provenant de nulle part, des petites cascades ruisselant du haut de la montagne finissent leurs courses dans le lit de la rivière ou se sont formées des retenues d'eau. Ces cascades sont utilisées comme des douches rafraîchissantes par beaucoup de personnes notamment des jeunes. Ces flaques sont aussi usitées par les singes qui, très tôt, viennent prendre leurs douches matinales avant d'entamer leurs ascensions vers les hauteurs boisées qui leurs servent de refuge. El Hamdania, le carrefour de l'artisanat et de la poterie A la sortie des gorges de la Chiffa et en empruntant la direction de Médéa, un ensemble de maisonnettes construites en bois et alignées à la façon nordique suscite notre émerveillement. Nous marquons un temps d'arrêt pour découvrir ce petit espace commercial construit sur un terre-plein jouxtant la route. Sur les lieux que nous investissons, des commerçants proposent des poteries et autres objets artisanaaux à des prix acceptables. La plupart des commerçants ont achalandé leurs produits suivant leurs choix, un peu comme pour vouloir draguer les clients. Les poteries en terre cuite sont très demandées notamment en cette période. Des marmites sont proposées à des prix variant entre 400 et 500 DA. Les tamis fabriqués avec de la terre cuites sont vendus au prix de 300 DA. Les prix varient selon le vendeur et la qualité du produit. Il sied de mettre l'accent sur la bienséance dont font montre les commerçants. Ils sont très accueillants et leurs visages sont marqués par un sourire béat. Un de ces commerçants offre une tirelire en terre cuite à un petit enfant, suscitant la réaction immédiate de sa sœur. «Calme-toi», rassure le commerçant en tendant une autre tirelire en forme de mouton à la petite fille. On y trouve divers articles dans cet espace commercial. Des plumes de paons, des espèces de feuilles en forme de plumes colorés, des bijoux artisanaux, des couverts (cuillères, assiettes, etc.) en bois et en terre cuite. «Je profite de l'occasion qui m'est offerte pour acquérir des ustensiles de cuisines à des prix raisonnables», nous informe cet homme grisonnant accompagné de sa femme et de ses deux enfants. Les prix sont variables, nous explique un jeune vendeur de figues. «C'est lors des week-ends que les commerçants réalisent des chiffres d'affaires intéressants», lance-t-il. La voix du Muhadine appelant à la prière nous fait sursauter. C'est cette voix qui nous fait découvrir l'existence d'une salle aménagée au profit des visiteurs et faisant office de salle de prière. C'est également cette voix qui nous rappelle à l'ordre. Il est 19h30 passé et nous décidons de quitter les lieux pour nous diriger vers Alger. Nous découvrons des vendeurs d'artisanat même sur le chemin du retour au-delà des gorges de la Chiffa. L'énigmatique maison hantée Depuis la nuit des temps, ou du moins depuis mon plus jeune âge, la petite maison en ruine qui se dresse à l'entrée de la Chiffa a suscité maintes histoires tout aussi invraisemblables les unes que les autres. On raconte que les esprits qui l'y habitent expulsent toutes les personnes qui auraient l'intention de passer une nuit à l'intérieur ou auraient des intentions de l'accaparer». Depuis, une multitude de tentatives de conjurer le sort de cette maisonnette ont été entreprises, en vain. Certains diront que cela relève de sornettes. Mais un vieil homme qui réside non loin de là nous affirme que «des centaines de personnes ont tenté d'y passer la nuit, en vain». Tout en nous montrant la maisonnette à l'aide de sa canne, il narre l'histoire d'un homme qui s'est résolu à exorciser les lieux. «C'était une nuit comme toutes les autres et l'homme en question, accompagné de prêtres à la barbe hirsute, s'est introduit à l'intérieur.» Il marque un temps et puis il lance un soupir avant de continuer : «Des cris se sont fait entendre, puis plus rien. Au petit matin, l'homme qui croyait avoir exorcisé les lieux s'est retrouvé en train de dormir dehors à la belle étoile», termine de dire le vieil homme avec un rictus au coin des lèvres. Tous les témoignages que nous avons recueillis convergent vers l'idée selon laquelle cette maisonnette est hantée par des esprits et personne ne peut y passer une nuit sans être surpris de se voir éjecté… en douceur ou violemment. C'est avec plaisir et avec la chair de poule que nous quittons ces lieux.