Méditations dans un fastueux verger de couleurs. Sonorité assourdie de la couleur, une effusion contrastée dont les éléments de différenciation contribuent à un côte à côte de transparence, de flous translucides ou des nuances de gris, de rose, de blanc ou magnifié avec des tons pastels, de rouge et de jaune, de vert et de brun d'où jaillissent des silhouettes et des «aouchem» qui nous font rappeler les tapisseries du Sud, de la Kabylie ou des Aurès. Le couple ! Omniprésent dans les tableaux de Zouhir. Corps souvent amputé. De bras. Les formes tiraillées et les traits «coulent» en désordre donnant l'allure d'une chevelure. Tracés qui se déplacent s'il s'agissait de montrer plus un mouvement qu'une image. Cri de femme, couple-éclair, poétesse folle. Ici on peut remarquer le contraste avec les personnages qui, eux, sont délimités, souvent entourés d'un léger trait noir, mais qui, par là, imposent leur emplacement sur la toile. Ces traits doivent être regardés comme l'élément principal. La femme dominant la nature, cristallise en elle tous les éléments de création. Un élève d'Issiakhem Zouhir Boudjemaâ appartient à cette nouvelle génération de peintres algériens. Il s'est intéressé très jeune aux arts plastiques. Il entre alors à l'Ecole nationale des beaux-arts de 1981 à 1987 où il connaîtra de prestigieux peintres. Ses contacts avec Issiakhem et notamment avec Khadda ont contribué fortement à sa formation d'artiste. Aussi l'influence et la complicité avec Abdelwahab Mojrani apparaissent dans ses premières œuvres en forte présence. Zouhir ne se contente pas d'exposer dans les galeries ; c'est un troubadour à la recherche d'espaces et de liberté. Il a participé à la réalisation de la fresque sur les murs de l'institut de mécanique de l'université de Soummam. En hommage à Picasso en novembre 1987, Zouheir était parmi les étudiants qui avaient transformé les autobus de la RSTA en «galeries ambulantes». Cette manière d'aller vers le public tient beaucoup à cœur à cet artiste peintre qui s'en est allé «coller ses couleurs» sur les murs d'Azazga, de Tizi Ouzou et d'Akbou. N'est-il pas là attiré par la tentation de l'envoi, de vaincre et de s'épanouir dans l'espace sous une forme ou sous une autre ? Zouhir, comme tant d'autres artistes, suggère ce besoin de libération qui permet à l'homme de se retrouver dans sa vérité profonde. On ne sait pas d'ailleurs que sont devenus les peintres ou «groupe hirondelles» qui avait l'intention de siliconer le pays et d'accrocher des couleurs d'espoir, en guise de toiles, manière d'égayer notre espace au béton morne et repoussant. Boudjemaâ nous rassure que ce groupe composé de vingt peintres reviendra un jour. D'autres tableaux que le peintre expose et qui portent le titre Hurlement, Eclatement, L'éveil et La victime sont «ivres» de couleurs exubérantes. Ici rien n'est stable, rien n'est fixe. Les personnages véhiculent les angoisses, les rêves ou les frayeurs. Ils sont rehaussés de rouge ou encore de jaune et de bleu. Le secret de la poésie Pour Zouheir, la poésie est une source d'inspiration. Elle est là, elle sert à ponctuer l'émotion du peintre. Qu'elle soit de Nazim Hikmet, de Djabran Khalil Djabran ou d'autres poètes, selon l'humeur du moment, le secret de la poésie… il impulse le rêve. Comme ce poème très symbolique de Nazim que l'artiste a collé sur le mur de la salle d'exposition. «Si je ne brûle pas Si tu ne brûles pas Si nous ne brûlons pas Comment les ténèbres Deviendront-elles clarté ?» Zouhir Boudjemaâ est né en juillet 1962 à El Milia, dans la région de Jijel, en Algérie, fait partie d'une nouvelle génération de peintres algériens. Tenaillé très jeune par ce désir de s'exprimer par la peinture, il a été formé par des aînés prestigieux à l'Ecole des beaux-arts de 1981 à 1987. Il a participé à de nombreuses expositions et actions picturales depuis 1986. Il vit et travaille à Paris depuis février 2001. Aussi, ce «hurlement étouffé, ce murmure qui s'offre aux vents, la femme dominant la nature. La peinture de Zouheir Boudjemaâ avec ses personnages aux formes déchiquetées projette en quelque sorte une image de la nature et de l'être qui ne se reconnaissent plus, qui recherchent leur clarté perdue, traduisant ainsi l'impression d'un monde animé de forces terrifiantes.