La Conférence de Copenhague sur les changements climatiques fera certainement date dans l'histoire de l'humanité, et cette conviction semble partagée par la majorité des délégations qui y participent, même si les ONG, présentes en force dans la capitale danoise, ne l'entendent pas de cette oreille. Celles-ci comptent en effet peser de tout leur poids sur les décisions qui seront prises à l'issue des deux semaines de débat entre les 110 délégations ayant confirmé leur présence. Mais peut-on vraiment espérer des résultats à la hauteur des attentes de la population mondiale dont plus d'un tiers subit, actuellement, les effets pervers de l'industrialisation à outrance et de l'exploitation effrénée des ressources de la planète ? Le débat sur les changements climatiques n'a finalement pas beaucoup avancé si l'on considère les positions plus que figées des puissances mondiales sur la question. Depuis le Protocole de Kyoto, qu'ils ont refusé de cautionner, les Etats-Unis, le plus grand pollueur mondial, continuent de rejeter impunément leurs gaz à effet de serre dans l'atmosphère, au prétexte qu'il faut absolument maintenir leur croissance et la compétitivité de leurs industries. Les dragons asiatiques, en particulier la Chine, s'ils représentent le parfait bouc émissaire qui justifie cette attitude, n'en sont pas moins exempts de reproches. Dans leur prétention démesurée à conquérir tous les marchés internationaux, ils participent grandement à la pollution atmosphérique terrestre, mais, dans le même temps, ils ne peuvent être tenus pour responsables directs de la situation dramatique dans laquelle se trouve la planète. Contraindre la Chine, pays qu'on affuble du vocable d'usine du monde qui fait, soit dit en passant, le bonheur et la prospérité des multinationales, ou l'Inde, dont la population est en augmentation constante, à diminuer leurs émissions polluantes, équivaudrait à assassiner indirectement des millions de personnes. De l'autre côté, une réduction sensible de ces émissions amoindrirait à terme le luxe et le confort dans lesquels vivent les populations d'Europe, d'Amérique du Nord, de Corée du Sud et du Japon, comparativement au reste du monde. C'est là, en fait, que se situe le blocage des négociations autour de la question du réchauffement climatique ; les Etats pollueurs voulant imposer l'idée d'une «responsabilité collective», alors qu'ils sont les premiers fautifs de la catastrophe qui s'annonce, les autres se disant prêts à apporter leur concours à la lutte contre le phénomène sous conditions, essentiellement, des aides substantielles pour de véritables programmes de développement durable. Sur fond d'hypocrisie C'est l'attitude on ne peut plus hypocrite des grands pollueurs qui fait rager les ONG et que ne cessent de décrier les pays en développement, victimes directes des retombées catastrophiques des changements climatiques. «L'Afrique doit parler d'une seule voix», disait notre ministre en charge de l'environnement, mais de quel poids peut se prévaloir un continent en proie à la guerre, la maladie et au sous-développement chronique face à des puissances qui refusent l'idée même qu'ils sont à l'origine des perturbations climatiques dont on sait aujourd'hui les phénoménales manifestations ? Rien, sinon de balayer devant soi, mettre de l'ordre dans la maison Afrique et engager une lutte sans merci contre les manifestations apparentes du réchauffement climatique, avant de prétendre à des compensations financières et des aides que la communauté des Etats riches n'est pas près de débloquer. Par manque de moyens mais aussi de visions de développement à long terme, rares sont les Etats africains qui ont engagé des politiques soutenues pour contrecarrer les effets de la désertification et la déforestation, phénomènes récurrents ces dernières années, qui jouent un rôle non négligeable dans les inondations meurtrières, les glissements de terrain et l'érosion des terres cultivables. Près de nous, la sécheresse a appauvri des pays entiers et mis fin aux espoirs de leurs dirigeants de rattraper l'immense retard qui les sépare du monde «civilisé». Pénible est la situation des populations de pasteurs du Mali, du Niger ou du Burkina Faso, atroce est la condition de leurs agriculteurs qui peinent à assurer leur propre subsistance. Quel type de développement ? Depuis la grande sécheresse des années 1960, les pays du Sahel ont sombré dans des problèmes économiques et sociaux majeurs à l'origine de l'exode de centaines de milliers de paysans vers des villes, aujourd'hui surpeuplées et sous-équipées, mais aussi et surtout d'une succession de conflits armés dont les victimes premières sont, évidemment, les populations civiles. «L'opulence n'a tué personne», disait ce Premier ministre africain dont le pays a connu une succession de terribles sécheresses, pour rappeler que les Etats pauvres font la politique de leurs moyens et non l'inverse, et qu'ils doivent par conséquent bénéficier du soutien absolu des pays riches pour contribuer à leur tour à la lutte contre le réchauffement climatique. Quel part de pollution peut-on attribuer à un citadin sénégalais, un paysan Camerounais ou un pasteur targui ? Aucune, si l'on voit dans quelles conditions évoluent les Européens, et surtout les Américains, dont le niveau de vie actuel exige l'exploitation immodérée de toutes les ressources de la planète. Pour faire vivre de la même manière les Américains du Nord et répondre à leurs insatiables besoins, des économistes ont calculé qu'il faudrait exploiter les richesses d'au moins 5 planètes identiques à la Terre. De quoi donner le tournis aux populations des autres continents, qui se contentent des maigres ressources dont elles disposent et qui, surtout, subissent les revers d'une situation on ne peut plus révoltante. L'Algérie a compris depuis longtemps ce jeu pervers qui veut qu'elle mette un frein à son développement économique, au prétexte qu'elle doit préserver son environnement et, plus grave, laisser des régions entières dans leur état naturel, juste pour satisfaire des touristes en mal d'exotisme et de fortes sensations, au détriment de populations qui aspirent elles aussi au progrès et à ses bienfaits. N'a-t-on pas écrit dans d'illustres journaux occidentaux que la Transsaharienne allait «défigurer» les magnifiques paysages du Sahara algérien ? N'a-t-on pas suggéré à nos décideurs de ne pas trop développer l'industrie pétrochimique, au risque de perdre la vocation agricole du pays ? Fort heureusement, ces arguties ont fait long feu, l'Algérie n'ayant tenu compte que des besoins réels de sa population. Plus important, notre pays peut se targuer d'être un pionnier de la lutte contre les changements climatiques, parce qu'il a été l'un des premiers à contrecarrer l'avancée du désert. Avec ses propres moyens et sans l'appui de quiconque. Le barrage vert, la mise en valeur des terres sahariennes, l'exploitation et la mobilisation des eaux de surface s'intègrent dans la stratégie nationale de préservation de l'environnement et de développement durable. Car, quand bien même l'Algérie a tenté une expérience industrielle, son tissu d'usines et d'unités «polluantes», reste insignifiant par rapport aux milliers de complexes concentrés dans les quelques pays riches de la planète. L'Afrique entière, avec ses Etats pétroliers et ses petits dragons, qui n'ont pas dépassé le stade de la manufacture, ne rejette que 5% des gaz à effets de serre. A eux seuls, les Etats-Unis en produisent 50%, c'est-à-dire, plus que la Chine, l'Inde, l'Amérique du Sud et l'Afrique réunies.