Surprenant. Et vraiment bizarre, cette décision prise simultanément par Washington, Londres et Paris de rouvrir, après une fermeture de deux et trois jours seulement, leurs ambassades respectives à Sanaa ! C'est même étrange, voire ahurissant dans la mesure où tout le monde a suivi avec beaucoup d'attention, d'inquiétudes et d'appréhensions, l'escalade guerrière qui se profilait en filigrane à la suite de l'attentat manqué de Détroit… Les USA, la Grande- Bretagne et la France ont donc décidé de revenir à la raison, quelques quarante-huit heures à peine après le branle-bas de combat qui a suivi l'attentat raté de Noël et la prétendue menace terroriste lancée contre leurs intérêts. Ce singulier revirement de situation et d'attitude, s'il paraît exceptionnel, est pour le moins déroutant pour tous les citoyens lambda de ces pays qui ne doivent pas bien comprendre le pourquoi d'une telle attitude tout autant imprévue qu'inconcevable dans le contexte où elle a été engagée. Une menace pas si terrible que ça ? Cela veut-il dire que la menace n'était en réalité pas aussi inquiétante qu'on le supposait ? Et que dans ce cas précis, on a confondu course et précipitation ? Ce qui semble au demeurant assez naïf, sachant que les experts du Pentagone ne sont pas nés de la dernière pluie et n'ont pas pour habitude d'être fantasques. Alors pourquoi ? Car la question est lancinante, du moment qu'on nous a bassiné à longueur de média sur la dangerosité de l'acte raté mais aussi et surtout sur les capacités apocalyptiques de destruction massive de la frange d'Al Quaïda au Yémen. Pour justifier ce geste d'apaisement concernant la réouverture de ces chancelleries, on nous avance que leur fermeture n'avait plus raison d'être puisque «les autorités yéménites ont tué ou arrêté depuis dimanche plusieurs membres présumés du réseau Al-Qaïda.» Et en effet, les autorités yéménites ont annoncé avoir arrêté récemment cinq membres présumés d'Al-Qaïda et tué deux d'entre eux dans une opération au nord de la capitale. Des autorités yéménites qui «ont également assuré être capables de protéger les ambassades et les étrangers et vouloir éradiquer les extrémistes». Le Yémen capable d'assurer la protection Est-ce à dire que cette action punitive et la promesse yéménite d'assurer la protection et la sécurité de ces représentations suffisent dès lors à revenir aussitôt à une situation presque normale ? Si cela pouvait s'avérer vrai, nous ne pouvons qu'applaudir quant aux capacités de réaction et de gestion d'une telle crise par les autorités yéménites dont on avait toujours prétendu qu'elles étaient dépassées par les évènements tragiques qui secouent ce pays très pauvre depuis de longues années. Il reste qu'au regard du battage médiatique qui a entouré cette affaire, le doute ne peut que s'installer quant aux véritables desseins que cache apparemment cette saga en terre yéménite, d'autant que Hussein Barak Obama a été contraint d'écourter ses vacances hawaïennes pour rentrer dare-dare à la Maison Blanche ! Obama en colère s'en prend aux renseignements US Mais au-delà de ce retour forcé aux affaires, c'est le ton pris par le Président américain quand il a interpellé les services de sécurité américains - qui semblent avoir fait preuve d'incompétence flagrante - dès l'annonce qui lui avait été faite concernant la fameuse bavure de Détroit. Un ton martial et surtout des plus réprobateurs vis-à-vis de la crème des services sécuritaires et de renseignements US qui, selon lui, auraient dû empêcher un suspect muni d'explosifs d'entrer dans un avion de ligne à destination des Etats-Unis. Tout en affirmant que les Etats-Unis venaient d'échapper ce jour de Noël à une catastrophe, Obama n'a pas mâché ses mots quand il a convoqué les responsables des services de renseignements, en présence de Joe Biden, son vice-président, et de quelques ministres concernés par la question. Il a officiellement exigé des réformes pour que de telles incompétences ne se répètent plus. Après la colère du président Obama, tout le monde s'attendait donc à ce que l'armada américaine fasse route sur le Yémen en Péninsule arabique pour faire la guerre au terrorisme. Surtout après qu'il eut dépêché à Sanaa le commandant des forces américaines en Irak et en Afghanistan, le général David Petraeus, pour fignoler, sinon la riposte américaine, du moins voir comment faire face à la menace terroriste qui nargue les USA depuis le Yémen. L'apaisement après le bruit de bottes ? Les annonces conjointes de Londres, Paris et Washington qui ont tenté d'associer à leurs peurs celles des autres pays de la force atlantiste et surtout des membres de l'Union européenne ont, en effet, laissé entendre un certain temps un martial bruit de botte dans le sud de la Péninsule arabique… C'est pourquoi le revirement de situation actuel est donc bien accueilli vu qu'il préfigure d'une embellie pour le Yémen et toute la région en laissant supposer que la menace terroriste tant appréhendée n'est quand même pas si terrible que cela… Mais voilà, comme il n'y a jamais de fumée sans feu, on ne peut que s'interroger sur le pourquoi et les vraies raisons de tout ce branle-bas de combat. Tout le monde sait que les USA et les Occidentaux d'une manière générale, voire d'autres puissances émergentes, convoitent les fabuleuses richesses en hydrocarbures que recèlent les pays de la région. Personne n'ignore par ailleurs que celui qui détient ou contrôle ces richesses ou tout au moins leur acheminement et leurs voies d'accès, dispose ainsi d'armes stratégiques indéniables. La vérité veut que cette région du globe est aussi géo-stratégiquement parlant, au carrefour d'une vaste zone où confluent de considérables intérêts. Y poser le pied, y avancer des pions ou du moins y avoir ses entrées pour mieux garantir ses intérêts, c'est ce à quoi aspirent toutes les puissances, qu'elles soient régionales, ou tout simplement supranationales. L'aide occidentale est-elle désintéressée ? Les Etats-Unis se considérant, après le démantèlement du Pacte de Varsovie, comme étant le seul gendarme du monde, il va sans dire qu'ils feront tout pour asseoir cette position. Envers et contre tous. Alors l'image d'un Yémen bastion d'Al Quaïda et pourvoyeur de kamikazes pour abattre la citadelle américaine, est-ce un leurre, un mythe ou une réalité ? Une chose est sûre, ce pays qui compte parmi les plus pauvres du monde connaît surtout d'incessantes querelles intestines. C'est un pays où la misère est flagrante et où les populations peinent à vivre décemment, surtout aux frontières de voisins qui affichent, comme l'Arabie saoudite, une richesse insolente. C'est donc ainsi un pays où les «islamistes» disposent à profusion d'un terreau fertile indispensable pour recruter et former de futurs et potentiels djihadistes. Cela suffit pour que certaines grandes puissances s'y intéressent et tentent de le déstabiliser pour mieux pouvoir lui proposer aide et assistance militaires et, partant, s'y installer en tant que «garants de la paix». Les autorités yéménites qui viennent de rassurer sur leur capacité à protéger les intérêts occidentaux, après avoir appelé au secours ces mêmes occidentaux pour contrecarrer la rébellion chiite et les insurgés islamistes, ont-elles aussi fait volte-face ? On se le demande aussi. Comme on se demande si cette histoire n'est pas du pain béni pour Obama qui saisit ainsi cette opportunité pour faire le nettoyage dans ses services de renseignements qu'il a hérités des Bush père et fils et en qui peut-être il n'aurait jamais eu confiance ? Il y a peut-être un peu de tout cela dans cette histoire assez étrange pour laquelle nous espérons un heureux dénouement mais dont, hélas, on ne connaît pas encore l'épilogue.