Talhi Meriem n'attend pas de ses visiteurs des ananas, des kiwis ou autres fruits exotiques. Elle vous prend la main, la couvre de petits baisers avant de vous demander, comme un petit enfant qui se fait tout mielleux, de lui ramener des artichauts. Vieille demoiselle âgée de 108 ans, elle est née à Bouyakour dans la commune de Boutlélis. Elle vit toujours dans cette localité qui l'a vu naître au sein d'une famille très attachée à la terre. Prise en charge par une nièce, âgée d'une quarantaine d'années et célibataire elle aussi, elle vit dans un dénuement total dans un gourbi exigu, dont le toit est recouvert d'une tôle en amiante. Elles vivent toutes les deux dans des conditions précaires dans cette bourgade où le cadre de vie est insupportable. «Je ne peux pas me marier, qui la prendra en charge si je venais à quitter la maison», dira sa nièce, une femme qui a l'aura des Algériennes rurales que les travaux, même les plus pénibles, ne rebutent pas. Lorsque nous lui avons rendu visite, elle était allongée sur un matelas en mousse, à même le sol. Pour elle, c'est quoi le 8 mars, c'est quoi la journée de la femme ? Une date, des mots et rien d'autre. «Je ne veux rien d'autre, juste des artichauts que me préparera ma nièce avec une sauce blanche bien épicée», nous dira-t-elle, avant de s'assoupir. En hiver, la pièce où vivent ces deux femmes, devient un véritable frigo. Lorsqu'il pleut, le toit en amiante devient un frêle paravent qui fuit de partout. «En été, celle-ci se transforme en un véritable four où l'air devient irrespirable», dira sa nièce. A son réveil, après un moment d'assoupissement, Khalti Mériem s'est plainte de douleurs au thorax en tenant de sa main droite, qui présente un handicap, sa poitrine. «De grâce, mon enfant ramène-moi juste des artichauts, c'est ce que je veux manger à midi», dira-t-elle avant de se rendormir. « C'est son plat préféré. Oui, elle adore le poisson et ce légume», avouera sa nièce précisant que c'est peut-être là que réside le secret de sa longévité. Elle est restée très attachée à la cuisine saine. Il y a environ huit ans, sa santé a commencé à péricliter. «Son pied gauche a été rongé par la gangrène et elle a reçu plusieurs soins au niveau des services de santé à ce moment-là. Mais sans résultat», nous a expliqué sa nièce. «J'ai donc eu recours aux soins traditionnels pendant sept longs mois. Un jour, en lui retirant le pansement, j'ai remarqué avec stupeur le décollement de ses orteils. Elle en a souffert mais actuellement elle va beaucoup mieux. A part cela, elle n'a jamais consulté de médecin. Elle n'est jamais tombée malade, mis à part la grippe qu'elle contracte à cause du froid qui sévit dans la pièce où nous vivons», nous a-t-elle précisé. Talhi Mériem a vécu toute sa vie à Bouyakour et ses rares déplacements n'ont jamais dépassé la localité de Misserghin, distante de moins de dix kilomètres, où résident ses neveux. Pour elle, ce sont là les véritables frontières du monde. Aujourd'hui elle est devenue grabataire. Elle ne se déplace plus car elle ne peut plus marcher ni tenir une conversation. «Elle est comme un bébé et depuis huit ans, elle utilise des couches et je ne peux plus quitter ma demeure de peur qu'il ne lui arrive un malheur», a tenu à préciser notre interlocutrice. Cette vieille personne percevait une pension de mille dinars par mois qui, depuis quatre mois, a été revalorisée. Sa nièce, quant à elle, perçoit une maigre pension de réversion de son père avec laquelle elle ne peut faire face aux différentes dépenses. «La pension de solidarité qu'on attribue à la centenaire ne peut même pas suffire à l'achat des couches qu'elle utilise quotidiennement, avons-nous appris par un membre de sa famille. Et quand on lui parle du 8 mars, Talhi Meriem ouvre ses yeux, esquisse un sourire puis d'un air enjoué demande à manger, pas un repas truffé de viande et agrémenté de fruits exotiques mais juste un plat d'artichaut que sait lui préparer sa nièce qui ne la quitte jamais. Elle vit dans le dénuement, et le bouquet de fleurs que s'apprêtent à lui offrir des associations, à l'occasion de la journée de la femme, n'aura pas d'éclat. Elle a vécu courageuse, perdue dans un labyrinthe de problèmes que savait alléger sa nièce, elle qui n'a jamais accepté l'idée de confier sa tante à un hospice pour personnes du troisième âge.