Apporter du sucre et un repas à ses beaux-parents est un geste symbolique que la vie moderne bamakoise détourne, volontiers, de son esprit. Le mois de ramadhan est le mois de la solidarité et du partage. Ces valeurs dateraient des premières années de l'islam. Pendant ce mois, les musulmans se rendent des visites et échangent cadeaux et repas. La sollicitude est également plus marquée envers les démunis. Ces valeurs d'entraide et de partage font également partie des traditions maliennes. C'est ainsi que dans la plupart des communautés, il est de coutume que l'homme apporte du sucre à ses beaux-parents. Sa femme apporte, de son côté, des repas aux parents de son époux. En principe, il n'y a rien d'anormal dans ces coutumes qui permettent de renforcer les liens entre les deux familles. Mais aujourd'hui à Bamako, comme pour beaucoup d'autres traditions, cet esprit de solidarité est galvaudé et parfois dévoyé. La première des «obligations» du mois de jeûne et la plus communément respectée est le sucre qu'on apporte aux parents de sa femme. Théoriquement, cette tradition n'a aucun caractère contraignant. Mais dans les faits, les choses se passent autrement. Et il n'est pas rare de voir même des parents éloignés de la femme, sous le couvert de la plaisanterie, réclamer leur «buran sukaro». La quantité de sucre à apporter n'est pas déterminée, mais personne ne veut se ridiculiser aux yeux de ses beaux-parents (ou simplement donner l'impression de leur manquer de respect) en leur offrant une infime portion. Le geste doit donc être «consistant» pour garder la tête haute. Une source de dissension Le mois de jeûne est même susceptible d'être source de dissension dans des familles. Il faut préparer des repas et donner du sucre. Avec ses propres dépenses qu'occasionne le ramadhan, ça devient vraiment difficile. Le problème vient de la rivalité entre les demi-sœurs dans les familles de polygames. Chacune veut prouver que son mari a plus de moyens que ceux des autres. Malgré ces dérives, le principe n'est pas loin de faire l'unanimité. «C'est une exigence morale qu'aucun gendre ne doit négliger, estime ainsi le vieux Zoumana D. L'occasion ne se présente qu'une seule fois dans l'année. Quel que soit le revenu de l'homme, il doit être en mesure de payer au moins un kilogramme de sucre pour ses beaux-parents afin de montrer l'affection et l'amour qu'il porte à sa femme.» Une véritable compétition En plus du sucre, l'autre «obligation» du mois de ramadhan est le repas que l'homme envoie à ses beaux-parents, à travers sa femme. Là aussi, la tradition devient aisément obligation pour se muer en compétition, à l'occasion. L'émulation pousse alors les gendres de la même famille à la surenchère. Chacun voulant – sous la pression de son épouse – se montrer le plus généreux. Poulets rôtis, viande, poissons, les femmes issues d'une même famille rivalisent d'ardeur pour amener le meilleur plat à leurs parents. Histoire de prouver que leur mari est «capable», qu'il a «les moyens» et, évidemment, qu'il aime bien ses beaux-parents. La présence éventuelle de co-épouses exacerbe, bien sûr, les rivalités. «Le problème est que, quand on ne le fait pas, on a honte dans sa famille. Mais nous oublions ce que cela coûte à l'homme. Car rares sont les femmes qui financent elles-mêmes ces dépenses», reconnaît une jeune mariée. Dans certains milieux, notamment au nord du pays, la tradition recouvre une autre variante. «Là-bas, c'est la belle-mère qui apporte le repas de rupture du jeûne à son gendre. Ce dernier en retour donnera un habit neuf et du mouton pour la fête de Tabaski. Certains s'étonneront qu'on puisse imposer des dépenses aussi importantes au gendre. En fait, un mouton ne coûte pas cher dans cette partie du pays, et la tradition est acceptée, sans frustration par les époux», assure un ressortissant du Nord.