Le juge Santiago Pedraz de l´audience nationale, la plus haute juridiction pénale espagnole en matière de lutte contre le terrorisme, a ordonné hier la remise en liberté sans caution de Mohamed Omar Debhi. Ce dernier devra toutefois pointer tous les jours au commissariat de sa résidence et ne pas quitter le territoire espagnol sans autorisation, tant que durera l´enquête. Insuffisance de preuves Ce Nord-Américain d´origine algérienne, âgé de 43 ans, avait été arrêté, mercredi à Barcelone, par la police espagnole sous l´inculpation de «financement des activités de terrorisme» d'Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Après avoir examiné le rapport présenté par la police et entendu le prévenu, le magistrat a estimé que «malgré l´existence d´indices de fraude financière» au préjudice de l´administration espagnole des impôts et de la sécurité sociale, il «n´existait pas dans le dossier des preuves concrètes attestant clairement que l´argent que le prévenu envoyait en Algérie était destiné au financement du terrorisme ou que le prévenu se soit livré à des activités criminelles». Le procureur de l´Etat avait, pour sa part, requis la prison inconditionnelle pour le prévenu sur la seule base du rapport d´enquête policière. Les enquêteurs avaient fait état de l´envoi par Omar Debhi en Algérie de plus de 60 000 euros à travers des transferts bancaires et par le biais du nommé Toufik Mizi, l´une de ses relations personnelles. Toufik Mizi, qui était établi depuis longtemps en Espagne, a dû quitter ce pays en 2006 pour échapper à la police qui le recherchait pour délit d'«appartenance à une organisation terroriste» dans le cadre d´une enquête sur les activités d'une cellule de soutien logistique au profit d'Al Qaïda au Maghreb islamique. C´est vraisemblablement sur la base de ce lien, en plus de la forte somme d´argent envoyée au pays, que la police a axé ses accusations contre Omar Debhi, qui a affirmé au magistrat qu´il avait rompu tout contact avec son ami qu´il connaissait depuis 25 ans, en apprenant que celui-ci était impliqué dans une affaire de soutien au terrorisme. Le zèle de la police En Espagne, les enquêtes sur les activités de terrorisme comme les détentions préventives des inculpés durent des années. Des dizaines d´Algériens ont purgé parfois jusqu´à trois ans de prison sans la moindre preuve de leur implication dans ces activités. Les magistrats ont souvent reproché à la police et à la gendarmerie, comme dans le cas de Omar Debhi, de lui fournir des dossiers vides sur les activités des prétendus réseaux de soutien au terrorisme. Comme l´avait rapporté notre journal dans son édition de jeudi, il est possible que l´arrestation de Omar Debhi, faite hâtivement par les policiers, ait été menée sur instruction des autorités gouvernementales espagnoles soucieuses de donner de l´Espagne l´image d´un pays qui s´acquitte de ses obligations internationales en matière de lutte contre le terrorisme. Ce message est destiné en priorité à l´Algérie et aux Etats-Unis, qui ont accusé le gouvernement Zapatero d´avoir financé indirectement Aqmi à travers le paiement des 8 millions d´euros comme rançon pour obtenir la libération, le 22 août dernier, des otages espagnols enlevés le 29 novembre 2009 par les groupes d'Abou Zeid et Benmokhtar. Miguel Angel Moratinos a été interpellé, jeudi, sur cette affaire des rançons devant la commission des affaires étrangères du Congrès des députés. Une fois de plus il a soutenu sans convaincre aucun député, y compris dans le camp de son parti (le PSOE), lorsqu´il affirme que son gouvernement «n´a pas payé de rançons» pour obtenir la libération des trois ressortissants espagnols enlevés le 29 novembre dernier par Aqmi. Moratinos et les rançons En réponse aux députés qui ont critiqué l´attitude déloyale de l´Espagne envers des partenaires comme Alger et Washington, qui sont très engagés contre le terrorisme d'Aqmi, il a soutenu à l´appui de ses arguments que «ni l´Algérie ni les Etats-Unis ne se sont plaints formellement à ce sujet auprès de l´Espagne». Le chef de la diplomatie espagnole a toutefois reconnu qu´au moment de l´enlèvement des trois otages espagnols, l´ambassadeur espagnol à Washington, Jorge Dezcallar, avait eu une conversation avec un représentant de l´administration Obama «sur la manière de conduire la lutte contre l´ETA à l´étranger». Au cours de cet entretien, la partie américaine aurait soulevé la question du terrorisme au Sahel et que le diplomate espagnol a insisté, selon Moratinos, sur le «principe de base, que l´Espagne partage avec des pays comme les Etats-Unis et l´Algérie, à savoir que le paiement de rançons aux organisations terroristes n´était pas la bonne solution pour obtenir la libération des otages». C´est pourtant cette voie que l´Espagne a empruntée et que Paris s´apprête à suivre pour obtenir la libération des cinq otages français dont Aqmi a diffusé, pour la première fois jeudi, les images sur leur lieu de détention dans le nord du Mali. Des sources diverses ont déclaré à notre journal avoir la certitude que les services secrets espagnols (CNI) et français (DGSE) agissent, en ce moment, conjointement pour faire activer tous les canaux qui ont servi à établir le contact avec Abou Zeid et Benmokhtar dans l´affaire des trois otages catalans. La recette espagnole Madrid, qui jouirait selon ces sources de plus de sympathie que Paris au sein des groups terroristes de Mokhtar Benmokhtar, donnerait un coup de main à Paris pour obtenir la libération des cinq Français et des deux Africains aux mains d'Aqmi. Le prix ? Cinq millions d´euros par tête. L´astuce ? Le paiement se fera par les employeurs des otages dans les mines d´uranium du Niger. Paris aura patte blanche. C´est la formule espagnole !