Peut-on d'ores et déjà augurer, à la veille de l'organisation du 15e Sila, d'une bonne année éditoriale ? S'annonce-t-elle prometteuse au regard du nombre d'éditeurs et de la flopée des écrivains de ces dernières années ? L'édition est soumise aux diktats matériels et techniques qui font qu'elle n'a jamais pris réellement son envol. L'importation des intrants dans la confection du livre en général et du livre pour enfants en particulier freine l'activité éditoriale souvent léthargique. Cette activité ne peut être boostée que par une politique du livre et de l'édition judicieuse et conséquente initiée par les pouvoirs publics. Ces dernières années, le ton est donné à l'édition et l'air du temps est à la production littéraire. Mais on est encore loin des normes internationales. Aussi doit-on encore patienter pour une réelle volonté politique et une véritable embellie et floraison éditoriales ? «Si la connaissance est toujours un butin», selon Maxime Gorki, «le livre est un outil de liberté», d'après Cicéron. De tout temps et sous toutes les latitudes, la prédilection pour la connaissance a permis à l'homme une évolution sociale tendant vers la liberté et un meilleur apprentissage de la vie. Cette assertion qui éveille en nous une volonté de lecture permet de mieux quantifier le savoir, une valeur sûre qui résiste à l'usure du temps et aux assauts idéologiques. Mais en Algérie, l'édition est indigente, aléatoire et souvent en dents de scie, et le livre est marginalisé. Dans toutes les librairies, le prix du livre pour enfants reste excessif. Celui de l'importation est prolifique, beau et excessivement cher pour les moyennes et petites bourses. Quant au livre de l'édition nationale, il est souvent onéreux et souvent de moindre qualité, malgré les efforts de certains éditeurs dont le livre est appréciable. Mais ces derniers se trouvent entre le marteau et l'enclume. Soit il s'agit d'assurer un produit de qualité qui ne se vend pas à cause de sa cherté, ou de confectionner des ouvrages peu attrayants mais abordables. Un vrai dilemme cornélien. De tout temps, l'édition s'est heurtée à de nombreux problèmes liés à la politique du livre qui n'a jamais vu le jour, malgré les incessantes promesses et les appels du pied des éditeurs. Cherté et mévente du livre Pour la maison d'édition Enag, le directeur de la distribution, M. Iguerb, estime que le livre obéit à des critères du marché. «Les intrants comme la colle, l'encre et le papier sont dispendieux. Leur importation est fonction des lois du marché. En outre, la pénurie de papier depuis près de trois mois pénalise la production du livre. Actuellement on trouve difficilement du papier, ce qui fait que l'on sursoit à des commandes, vu que nos plannings de travaux s'échelonnent sur le moyen et le long termes.» A l'unanimité, les éditeurs avouent que la production nationale est faible. Par contre, le marché est inondé de livres pour enfants importés. A cet effet, M. Abderrahmane Alibey des éditions Casbah avoue que «le livre importé est beau, de bonne qualité. Le seul bémol, c'est son prix inabordable». «Dans le registre du livre pour enfants, celui-ci doit susciter l'intérêt. Il faut aussi du papier couché (épais) et brillant (pour bien ressortir les illustrations). Par ailleurs, le livre pour enfants doit répondre à des critères, notamment une belle couverture, un format, une bonne qualité du papier et de la graphie. Il est fonction de la formule marketing Aidaf, ce qui signifie Attrait, Intérêt, Désir, Achat et Fidélité», explique M. Iguerb, en bon professionnel du livre. Peut-on se prononcer en toute franchise et dire que nos ouvrages répondent à ces normes internationales ? Difficile, même si certaines maisons d'édition se spécialisent dans de remarquables ouvrages, comme Chihab, Colorset ou Dalimen. La concurrence des autres pays arabes Même son de cloche pour l'éditeur Edif, M. Mohamed Boilattabi, qui accentue sur le coût abusif du papier la mévente et l'effroyable concurrence des pays arabes. A ce sujet, M. Boilattabi met à l'index les éditeurs du Moyen-Orient qui produisent beaucoup de livres pour enfants et les déversent lors de salons internationaux et à longueur d'année. «A titre d'exemple, le Liban est un petit pays de quelques millions d'habitants qui doit exporter ses ouvrages, notamment en Algérie, sinon il étouffe», dit-il. Cet éditeur soulève un autre problème lié à la mévente du livre. Le prix fort cher annihile toute volonté d'achat des parents. Cet aspect a été également pris en considération par M. Iguerb qui affirme que «les prix élevés de tous les intrants importés se répercutent sur le prix du livre». D'où la mévente au regard de l'inflation. De ce fait, le choix est vite fait par les parents qui se rabattent sur des ouvrages à prix modiques. Pour M. Boilattabi, «les matières premières pour la confection du livre sont soumises aux droits et taxes douanières, ce qui fait que l'on a seulement l'édition de l'esprit», dit-il avec humour. Pour Nora Adjal, des éditions Nounou, le papier couché nécessaire pour les contes pour enfants est coûteux. Pour illustrer, la palette de plusieurs kilogrammes s'évalue à 150 000 DA, c'est dire la cherté ! Notons aussi la différence de papier de l'intérieur et de la couverture. A ce sujet, elle signale que «la reliure d'art est faramineuse, et peu de maisons d'édition possèdent ce genre de machines pour la reliure de livres pour enfants. Vu le tarif de 40 DA pour une couverture, il n'y a que le ministère qui prend en charge ce type de travaux». Pas de structure de distribution ni de diffusion A tous ces aspects, qui se reflètent sur le coût du livre pour enfants, se greffe le problème de distribution auquel sont assujettis tous les éditeurs. «Il n'y a aucune structure spécialisée dotée de moyens de diffusion à travers le littoral et qui distribue avec vélocité», déplore M. Iguerb. M. Alibey est formel sur la question. Pour l'éditrice Nora Adjal, «la distribution reste un sérieux handicap pour nous autres éditeurs qui ne peuvent écouler nos produits. Il y a lieu de trouver des structures qui se spécialisent dans ce domaine afin d'assurer une bonne distribution dans la capitale et dans tout le pays, ce qui permet d'élargir et d'étoffer la production d'ouvrages», dit elle. Kamel Chehrit des éditions Alger livres éditions désapprouve également «le manque de professionnalisme dans la chaîne de distribution et de diffusion. Il n'y a pas de véritables libraires, et la relève n'a pas été assurée. Souvent c'est la progéniture qui reprend l'activité sans aucune expérience, ce qui ne permet pas la vulgarisation du livre. En sus, il y a des malentendus entre éditeurs et distributeurs», indique-t-il. Pour M. Chehrit, «si le livre n'a pas connu un essor conséquent c'est en raison de la masse du lectorat qui est minime, ce qui minore les ventes», renchérit-il. Indubitablement, le livre pour enfants d'importation reste inaccessible pour la majorité. Pour celui de la production nationale, il y a lieu d'opter pour ceux (souvent rares) qui sont de bonne qualité et de tarif réduit, mais souvent peu attrayants. Il est à souligner que l'enfant n'a pas un grand choix, ce qui le sanctionne et ne lui permet pas de développer son imaginaire avec les contes et histoires. Il reste cantonné à certains livres de médiocre facture. Dans les pays développés, une société qui lit a atteint son degré de maturité, de liberté et de tolérance. Chez nous, la société civile et les pouvoirs publics exhortent-ils à la lecture ? Dans le large panel des registres littéraires, le livre pour enfants est le parent pauvre de l'édition, alors que les millions d'écoliers, de lycéens et d'étudiants se circonscrivent dans un créneau porteur.