Khaled est supporter du Real et hier, le Real devait en découdre avec le Barça. Une journée où il se passe quelque chose, même en fin de soirée, c'est toujours ça de pris au déroulement du vide qui fait l'essentiel de sa vie. Khaled n'a pas attendu le «classico» depuis une semaine comme quelqu'un qui s'enfièvrerait pour un événement qui le passionne. C'est juste que comme tout le monde, il a fait semblant de savoir quand un petit commun du quartier le lui annonçait avec le ton de quelqu'un à qui on ne peut rien cacher. Mais on ne la fait pas à Khaled. Ce n'est que dans la journée qu'il a pris connaissance du «big match», mais ce n'est pas parce qu'il n'est pas à jour qu'on va le prendre pour un ringard déconnecté. C'est déjà assez qu'il supporte les moqueries d'à peu près tout le monde parce que contrairement à tout le monde, il est fan du Real et non du Barça. Il a bien un argument imparable à leur opposer sur la question, mais il devient un peu usé face au flot de superlatifs qui accompagne le Barça à chaque fois que son entourage en parle. Pourtant son truc aurait pu être inusable : si le FC Barcelone était meilleur que Madrid, ce serait là-bas que Zizou aurait signé, non ? On le lui a bien proposé, disait à chaque fois Khaled, même s'il n'en est pas vraiment sûr. De toute façon, tous les clubs du monde ont rêvé de Zizou, c'est évident. Et Zizou a choisi le Real, un peu comme «l'homme propose et la femme dispose», disait-il, solennel, mais quelque peu embarrassé d'emprunter subitement un discours savant. Embarrassé aussi quand on lui rappelle que c'était saugrenu pour un Kabyle de préférer le Real à Barcelone parce que la Catalogne, c'est la Kabylie de l'Espagne. Alors il se défend comme il peut. En invitant ses contradicteurs à rester dans le foot, à comparer le palmarès et l'historique des confrontations entre les deux clubs et à passer en revue les légendes du foot qui y sont joué. Khaled n'a ni l'abonnement Canal+, ni la carte d'Al Jazeera Sport, mais pour garder sa dignité, il ment effrontément en révélant qu'il venait d'en acquérir les deux à la fois. Alors, le soir après les restes de loubia du midi il a quitté discrètement le F3 et ses 13 occupants, traverse la cité en rabattant au maximum la capuche empruntée à sa sœur pour que personne ne le reconnaisse et se dirige vers un autre quartier, loin du sien et de ses environs immédiats. Là, il y trouve le café avec écran LCD qu'il avait déjà repéré dans une opération de reconnaissance et s'installe devant un café-presse-goudron, y met huit cuillerées de sucre et attend, sans remonter sa capuche. On ne sait jamais. Quand David Villa met le cinquième but du Barça, il ne sait plus s'il est toujours supporter du Real, mais il n'est pas question de confier ses doutes demain dans le quartier. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir