«Les lettres de délation anonymes sont de plus en plus attentatoires à l'ordre public», soutient d'entrée maître Farouk Ksentini, président de la Commission nationale de promotion et de protection des droits de l'homme. Comme lui, beaucoup font part de leur désapprobation liée à ce genre de dénonciation causant des préjudices à la collectivité et ne contribuant pas forcément à l'éclatement de la vérité. Et pourtant, il existe, de l'avis de Me Ksentini, une instruction émanant du ministère de la Justice suivant laquelle toute lettre anonyme ne devrait pas être prise en considération dans le cadre d'une enquête de justice. Seulement, il se trouve que le respect de cette instruction «fait défaut», se désole Me Ksentini, dénonçant au passage le recours abusif aux lettres anonymes pour dénoncer une situation donnée. Il n'est, en effet, un secret pour personne que sur la base d'une lettre anonyme, plusieurs cadres d'Etat et des responsables à différents niveaux ont été sérieusement malmenés par des enquêtes de justice engagées dans la majorité des cas au nom du sacro-saint principe de lutte contre la corruption. Sauf que dans le sillage de ce genre d'enquêtes, il convient de souligner cette lapalissade selon laquelle les cadres où responsables poursuivies n'ont en réalité commis aucune infraction vis-à-vis de la réglementation en vigueur. Du coup, la lettre de dénonciation anonyme dont ils ont fait l'objet n'a servi en fin de compte qu'à ternir leur réputation qu'ils ont su sauvegarder des années durant comme une lame inusable. Ce document nommé lettre anonyme se révèle ainsi tant préjudiciable à plus d'un titre, étant donné qu'il est à l'origine d'un dommage certain en matière d'atteinte à l'intégrité morale des personnes. Il va sans dire que la réhabilitation des personnes faisant l'objet de ce genre de préjudice provoqué à tort et sur la base d'une lettre anonyme dont on ignore tout des ambitions réelles de son auteur est loin de constituer une entreprise aisée. D'autre part, outre les services de sécurité qui sont dans la majorité des cas destinataires de lettres anonymes, il y a également les autres institutions de l'Etat, en particulier les ministères qui sont submergés par ce genre de correspondance parvenue de nulle part. Le cas du ministère du Commerce est en ce sens édifiant, apprend-on de source sûre. Contacté hier pour en savoir plus au sujet du sort réservé à ce genre de document, le service de la communication du ministère du Commerce était injoignable, et ce, à la suite de plusieurs tentatives de notre part. L'utilité d'un nouveau texte de loi Faisant état de critiques acerbes au sujet de l'ampleur prise par cette dénonciation via des lettres anonymes, le président de la Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme a beaucoup insisté sur la nécessité de voir le ministère de la Justice se lancer dans l'établissement d'un texte de loi interdisant carrément le recours aux lettres anonymes pour dénoncer un quelconque abus. Laquelle loi, insiste encore Me Ksentini, qui devra être soumise au Parlement pour adoption, et ce, dans l'objectif, dit il, «de la mise en place d'un instrument très efficace renforçant aussi bien la lutte contre tout genre de dépassements, tout en préservant l'intégrité morale des individus». De son côté, le président du Syndicat national des magistrats, Djamel Laïdouni, soutient quant à lui que «les lettres anonymes ne doivent pas être prises en considération dans le cadre des affaires liées à la sûreté de l'Etat». En dehors de ce contexte ainsi défini, tout autre lettre anonyme, même si elle s'inscrit dans le cadre de la lutte contre la corruption, ne devrait faire l'objet d'aucun intérêt, a encore affirmé M. Laïdouni. Ce dernier estime, en effet, qu'il est absurde de dénoncer le recours à la corruption dans n'importe quel organisme sur la base d'une lettre anonyme, et ce, pour la simple et bonne raison, explique-t-il, que «la nouvelle loi portant lutte contre la corruption protège toute personne dénonçant le recours à ce genre de fléau».