Mohamed Abdoun qui a flirté avec la muse en écrivant de prolifiques odes, la taquine encore pour donner lieu cette fois ci à un roman quelque peu étrange tout en étant bien ancré dans une réalité souvent sombre et mortifère. L'auteur est un homme engagé qui a choisi les mots pour cause et comme motivation. D'une hauteur de vue, il se livre par petites doses pour dire l'absurdité et la démesure de la vie. Avec «Crépuscule humain», il signe son premier roman tissé de fragments de vie et de brisures de souvenirs. Ses personnages sortis tout droit de la tragédie humaine, victimes de leur propre vie semblent bringuebalés au gré de leurs colères, de leurs angoisses et de leurs frustrations. Dans ce récit Mohamed Abdoun digresse en échafaudant différents scénario ; et l'on est happé dans le sillage de ses héros souvent sans relief dans des situations incongrues qui veulent faire sauter des verrous et l'on vit un électrochoc! D'une écriture tonique mâtinée d'un ton plein de dérision, Mohamed Abdoun dessine un roman qui carbure drôlement... bien! Le Temps : «Le crépuscule humain» ne renvoi-t-il pas à une réflexion désabusée de l'Homme et de la vie ? Mohamed Abdoun : Pas vraiment. Et je prends ici le soin de laisser la porte ouverte à une réponse contraire. Vous savez, la vie, comme ce roman, nous a, en quelque sorte, désabusés. Reste que ce qu'elle nous offre en échange de nos souffrances, et trop nombreuses désillusions, vaut largement le coup d'être vécu. En clair, je reste très optimiste dans mon pessimisme, sinon pessimiste dans mon optimisme. Un peu comme le verre à moitié plein ou à moitié vide. Cela dépend des jours, des moments, des saisons même. Mais la vie, je pense, valait quand même le coup d'être vécue. Même si on m'en avait laissé le choix, je pense qu'être un brin de myosotis m'aurait suffit, voire comblé. Vous voyez, toujours ce verre à moitié vide, ou à moitié plein. -Vous faites référence à la dualité du bien et du mal chez l'Homme, une idée si chère à Baudelaire, tout en excluant le mythe du bon sauvage de Rousseau. Pourquoi ce paradoxe ? - Ecoutez. Je ne vois là guère de paradoxe. L'Homme, à mon sens, naît avec une sorte de volonté de pencher vers le mal. Le bien, en revanche, lui doit être inculqué. (désolé, j'inverse suivant le vieux français de Rousseau). D'où le pêché originel. Celui-là même qui a précipité l'Homme vers l'enfer. Enfin, je veux dire la terre. Le «bon sauvage» dont vous parlez n'existe que dans les écrits «romantiques» de certains auteurs qui, à cette époque, cachait soigneusement la vérité, la littérature, et même l'accès à l'information étant soigneusement codifié, et interdit aux «sans culotte». Et puis, il fallait bien défendre l'entreprise de «civilisation». Imaginez, même le Japon, la Chine, en ont fait les frais. Nous autres, Algériens, étions nettement en avance, technologiquement parlant sur l'Europe, la France, quand on a été conquis. Mais, hélas, pour eux, nous n'étions que de «bons sauvages». Enfin, mauvais, très souvent, en attendant l'entreprise de «pacification» de la terre algérienne. Mais vous me poussez là sur un terrain politique qui ne fait guère partie de ce récit. Si Rousseau vivait encore, croyez-moi, il aurait revu certains de ses écrits. - L'Homme, l'amour, la vie, la mort, sont-ils les thèmes précis de ce récit ? Très franchement, votre question me surprend. Mais je suis ravi de rencontrer enfin une personne qui apprécie la littérature, voire la poésie, à leur juste valeur. Je me dérobe de la question, je sais. Car, dans un roman, contrairement à la poésie, il faut absolument livrer en «pâture» un ou plusieurs thèmes. Il y en a dans ce récit. Peut-être. J'attends que les lecteurs me le disent. Ce récit je l'ai avorté plutôt que de le mettre au monde. Mon thème à moi a été d'essayer de placer un miroir en face de chacun de mes éventuels lecteurs. J'aspire vers le bien, le bien absolu, inexistant, chez chacun d'entre nous. Mais je ne sais comment le faire. Et encore moins comment y parvenir. - A travers cette histoire d'amour incomprise et inassouvie, entre ados, pour vous l'amour est douleur. Etes-vous adepte de cette citation de Omar Khayyâm : «L'amour qui ne ravage pas n'est pas l'amour» ? Entre douleur et «doux leurre», ou réside la différence… Je sais que jamais, dans aucune contrée, il n'y a eu d'amour heureux. L'amour est souffrance, déchirure, souffrance, attente d'une sorte d'infini qui, bien sur, ne viendra pas. Je pourrais, je pense, composer des thèses sur ce sujet et prouver que ceux qui croient qu'ils s'aiment en étant ensemble ont fini par trouver un leitmotiv. Les seuls vrais amoureux souffrent. Je l'atteste ici. Je le fais en pensant que, Dieu merci, on ne brûle plus les sorciers, et les sorcières, comme du temps de Rousseau (aussi) en Thessalie. - A travers cette narration, n'y a-t-il pas un clin d'œil sur la situation en Algérie ? (Rire). Evidement. Mon grand amour, malheureux, hélas, c'est bel et bien l'Algérie. Je lui fais mille et un clin… deuil. Hélas. Mon Algérie chérie ne daigne répondre que par onomatopées. mais je l'aime, l'aimerai toujours. Et le prouve au quotidien, contrairement à certains qui disent l'aimer, mais l'ont quittée quand elle était déchirée, trahie, salie. Et qui aujourd'hui sont de nouveau dans ses bonnes grâces. Je ne m'en plains guère. Ni ne m'en repends point. Je porte cet (autre) amour malheureux. Et voilà tout. J'assume. - Ne pensez-vous que les digressions que vous utilisez alourdissent quelque peu le texte ? C'est donc la conclusion que je dois en faire. Connaissant votre soif de lecture et de littérature, j'en déduits que j'ai eu tord de trop jouer des mots quand il ne fallait que dire aux lecteurs où se trouvaient les héros et qu'est-ce qu'ils faisaient… Admettez que cela en aurait fait un vulgaire, ou simple «Arlequin». Au fait ça existe encore ? J'espère que non. Pourquoi n'y a-t-il pas de «Happy end» à votre histoire d'amour ? -Cela nous renvoie aux anciennes questions, et réponses, je pense. Avez-vous d'autres projets d'écriture ? Ecoutez, je ne développe, là, qu'un avis personnel. Déjà un autre roman en chantier. Mais je me focalise, présentement, beaucoup plus sur la poésie. Une maladie qui m'a pris depuis tout petit. Donc, des «projets», oui, il y en a à la pelle, à l'appel. Encore faudrait-il que des maisons d'édition, comme celle qui a eu l'amabilité de me prêter attention, puissent disposer des moyens à même de leur permettre d'encourager la publication et la littérature en Algérie. Je suis certain que beaucoup de jeunes talents existent, mais qu'ils n'ont pas eu leur chance de se faire connaître et, bien sur, éditer. Entretien réalisé