La wilaya d'Alger a bouclé hier la dernière opération, pour cette année, de relogement menée dans le cadre de la lutte contre l'habitat précaire. Depuis mars 2010, près de 10 000 logements ont été affectés (sur les 12 000 unités prévues). Les habitants des quartiers qui n'ont pas reçu leurs quotas, pourtant retenus dans le même programme, ont investi la rue pour revendiquer leur droit au recasement. Des émeutes ont éclaté, dans la nuit de lundi à mardi, aux Palmiers (Bachdjarrah) et Laâqiba (Belouizdad). Dans la journée de lundi, le quartier les Palmiers, dans la commune de Bachdjarrah (Alger), baignait dans un calme trompeur. La population vaquait à ses occupations ordinaires et un important dispositif sécuritaire était déployé à l'entrée du tunnel de Oued Ouchayah pour éviter qu'il soit fermé à la circulation automobile comme cela était le cas samedi en début d'après-midi. Rien ne semblait annoncer des échauffourées durant la nuit. Pourtant, dès la nuite tombée, la cité s'est transformée en champ de bataille rangée. Chaque jour, une centaine de jeunes, plus que déterminés à faire valoir leur priorité à un relogement dans les meilleurs délais, tentent de descendre au tunnel, situé en contrebas de la cité, pour le bloquer. La police anti-émeute a réussi jusqu'ici à les en empêcher. De ce choc naissaient les affrontements. C'est ainsi que dans la nuit de lundi à mardi, les Palmiers ont été le théâtre d'une nouvelle «série» d'émeutes. «C'est un feuilleton. Aujourd'hui, c'est une nouvelle série», ironise un jeune de la cité. Il était 19h20 quand nous sommes entrés au quartier, à partir du centre-ville de Bachdjarrah. De ce côté-là, les policiers n'étaient pas présents, l'accès était libre. «Les émeutes ont repris à la tombée de la nuit», note Brahim, résident qui se proposa de faire le guide. Une fois le premier immeuble de la cité dépassé, nous recevons la première bombe lacrymogène. Elle est tombée sur la route, pas loin du nouveau marché de proximité. Là, des dizaines de jeunes ont pris position, tentant d'approcher les policiers réfugiés dans le commissariat mitoyen. Larmes, fortes toux, douleurs aux poumons et envie de vomir. Il a fallu s'en éloigner le plus rapidement possible. Nous trouvons refuge dans le bâtiment le plus proche du commissariat. Depuis le 2e étage, nous voyons des agents anti-émeutes, munis de torches, remonter prudemment vers leurs locaux. Les projecteurs installés dans le bâtiment de la police balayaient de temps en temps les façades des bâtisses de la cité. Tout est clair à ce niveau : des jeunes avaient pris position sur la terrasse de l'immeuble E. Des pierres et des pneus brûlés pour riposter Ils poussaient des cris de provocation à l'endroit des policiers, leur jetaient des pierres ou des pneus enflammés qui n'arrivaient pas à franchir le mur d'enceinte des bureaux de l'APC qui se trouvent coincés au milieu de la scène. Les agents anti-émeutes, de leur côté, répondaient par des insultes et les bombes lacrymogènes. Celles-ci sont projetées dans toutes les directions, parvenant jusqu'à la cour centrale du quartier. La punition est collective. Les habitants du bâtiment E ont beaucoup souffert de ce face-à-face. Plusieurs familles ont préféré quitter leurs «maisons» – une chambre aménagée en appartement – pour aller se réfugier soit dans les autres coins de la cité les moins exposés à la présence des gaz lacrymogènes, soit carrément chez des proches installés loin de Bachdjarrah. Rester sur place était trop risqué. Un habitant a reçu une bombe chez lui ; elle est passée par la fenêtre. Impossible d'y rester plus de quelques secondes. Le voisin, faute de pouvoir évacuer les lieux, a eu l'idée de barricader toutes les ouvertures susceptibles de laisser filtrer les gaz étouffants. Le chef de cette famille ne savait plus quoi faire d'autre. Ayant un bébé (une fille) âgé de deux mois à peine, il a eu peur qu'elle soit asphyxiée. Pour cela, on n'a pas hésité à l'asperger de vinaigre ! Dans la même bâtisse, mais dans une autre cage, les femmes vivaient au cœur des affrontements la peur au ventre. Les petits enfants n'arrêtaient pas de pleurer. D'autres s'étaient murés dans un long silence, comme terrorisés par ce qui se passait dehors. Les bouteilles de vinaigre sont à chaque fois sollicitées. Une fois dans la grande cour, à 20h, nous voyons des gens sur les terrasses, sur les balcons, faisant des allers-retours dans tous les sens. L'agitation était à son comble. Les jeunes, eux, ont continué à se regrouper sur la route conduisant directement au commissariat, en passant devant le marché de proximité. Celui-ci a d'ailleurs pris feu cette nuit-là. A peine une centaine de mètres sépare les deux groupes. Avant que nous quittions les lieux, vers 20h30, la police avait suspendu le lancement des bombes. Les jeunes s'étaient aussi détournés de leur sujet pour voir venir la presse. Malgré ce climat d'émeute et la psychose qui a gagné les familles parquées chez elles, les jeunes n'arrêtaient pas de plaisanter entre eux sur leur mouvement. «Nous sommes fatigués d'entendre à chaque fois des promesses», «ils nous ont trompés», «hogra», sont entre autres les principales réactions qui reviennent à chaque fois dans leurs déclarations. La nuit devait être longue. Nous étions à la sortie des Palmiers quand nous avons entendu un cri déchirant : c'était des femmes qui lançaient des youyous… A Laâqiba aussi Les jeunes des Palmiers n'étaient pas les seuls à s'opposer, cette nuit-là, aux forces anti-émeutes. D'autres jeunes, dans d'autres quartiers, faisaient de même. En fait, Laâqiba, dans la commune de Mohamed Belouizdad, était aussi un lieu d'affrontements autrement plus durs – à cause notamment de l'utilisation des cocktails molotov – entre les forces de sécurité et des jeunes en furie. Ils étaient en colère pour avoir été laissés en marge du programme de relogement mené par la wilaya depuis mars dernier à ce jour et qui a porté sur la distribution de près de 10 000 logements sociaux-locatifs (sur les 12 000 prévus) aux familles vivant dans les sites précaires des communes du centre-ville de la capitale. En cela, ils sont dans la même mauvaise posture que les familles des Palmiers. Belcourt, site précaire par excellence, n'a eu droit qu'à des promesses de recasement, avant la fin 2010, qui sont restées sans lendemain. A cause de ces affrontements, la rue Mohamed Belouizdad a été coupée, dès la tombée de la nuit de lundi, au niveau du centre culturel Lakhdar Rabbah. La police déviait la circulation, allant jusqu'à autoriser les automobilistes à prendre un sens interdit pour quitter l'endroit. D'autres policiers invitaient les personnes qui s'étaient regroupées devant le centre culturel, dans l'espoir d'assister aux scènes de violence qui se passaient plus loin, à quitter les lieux. Les femmes occupaient les balcons pour suivre l'agitation de la rue. Hier matin, la population du quartier a repris son train de vie habituel. Les événements de la veille ont monopolisé les discussions. De bonne heure, les services d'hygiène communaux sont passés par là afin de tenter d'effacer toutes les traces des émeutes. Le face-à-face a eu lieu exactement à hauteur du stade communal Ait Saâda faisant face au cimetière Sidi M'hamed. Les jeunes citent le cas de Diar Echems A l'angle de la rue Abdelkader Chaâl qui descend de Laâqiba vers la rue Belouizdad, des traces de feu demeuraient sur les trottoirs malgré le nettoyage à grande eau. Plusieurs taches noires sont visibles sur la chaussée à la rue Abdelkader Chaâl. C'est à cause des pneus incendiés. Mais pourquoi cette soudaine explosion de colère ? Renseignement pris, il s'est avéré que ce sont les habitants de la partie haute du quartier qui ne voulaient plus accepter de demeurer sur place en supportant depuis toujours des conditions de vie épouvantables au moment où la wilaya distribuait des quotas de logements aux profits des familles de Diar Echams, Hydra, Ben Aknoun, etc. «On demande à être relogés comme tout le monde, c'est tout !», s'emporte un trabendiste. La population, malgré les promesses des responsables locaux, a fini par admettre que le seul moyen de se faire entendre reste la violence ouverte et l'occupation de la voie publique. Les jeunes, aux Palmiers comme à Belcourt, citent souvent le cas des habitants de Diar Echams (El Madania), qui ont arraché deux quotas de logements (1030 unités depuis mars) dans le cadre du plan de wilaya de lutte contre l'habitat précaire, suite aux émeutes de 2008. C'est donc aux autorités d'apporter la preuve du contraire.