Kader, sa femme Rachida et leurs deux enfants passent les vacances en Tunisie depuis une dizaine d'années. Une de ces habitudes qui s'installe comme ça, sans qu'on ait à prendre la décision, sans raison évidente et sans motivation profonde. En matière de vacances, Kader aurait pu prétendre à mieux ou s'installer comme beaucoup dans la programmation au «petit bonheur la chance». Kader et sa petite famille auraient pu avoir de meilleures «ambitions» en matière d'évasion estivale. Ils ne sont pas pleins aux as, mais ils sont loin d'être pauvres : ils font partie d'une nouvelle catégorie d'Algériens, assez rares d'ailleurs, fraîchement parvenus à ce statut hybride, survivance miraculeuse d'un tsunami de recomposition sociale. Avant le déluge, ça s'appelait «classe moyenne», maintenant on ne sait plus vraiment. Comme il fallait bien les désigner, quelqu'un a eu le génie de trouver qu'il n'y avait pas plus simple que de les appeler, «ceux qui peuvent passer leurs vacances en Tunisie». C'est facile, ce n'est pas cher et ça n'engage en rien. Et puis, c'est désormais ringard de cataloguer les Algériens en dehors de la seule classification admise : être riche ou pauvre.Le «label» est aussi facile que des vacances en Tunisie pour quelqu'un qui n'est pas pauvre. Il n'y a pas de visa à demander et on peut partir en voiture. Ce n'est pas cher, parce que les «trois étoiles» de Hammamet sont aussi abordables que le dortoir le plus miteux d'Alger et ça n'engage en rien parce que de retour de Tunis, on peut tout aussi bien jouer au riche qu'au pauvre. Quand les émeutes ont commencé en Tunisie, Kader s'est retrouvé tout de suite dans l'embarras. Il passait quinze jours de vacances à Hammamet, une semaine de route entre Bordj Bou Arréridj et Tabarka, puis le reste de l'année à vanter les mérites d'un «petit pays qui n'a pas de pétrole mais beaucoup d'idées». Kader traversait bien le pays profond au pays de Ben Ali et des Trabelsi, mais il n'avait rien vu, pressé qu'il était de parvenir à son «trois étoiles» de Hammamet. Au retour, il n'était pas aussi pressé de retrouver sa Cylicon Valley de BBA, mais il faisait semblant. Il fallait mériter son statut hybride de cadre dynamique qui a réussi à n'être ni riche ni pauvre dans un pays où sa catégorie a été «théoriquement» supprimée. Dans son quartier et au bureau, ceux qui l'écoutaient vanter les mérites d'un petit pays qui n'a pas de pétrole mais beaucoup d'idées sont venus lui demander des explications sur la contestation. On manifeste parce qu'on n'a pas de pétrole ou parce qu'on a trop d'idées ? Kader ne sait pas quoi répondre, il ne sait même pas s'il va encore passer ses vacances en Tunisie. Ben Ali n'a pas trouvé un pays qui a des idées pour l'accueillir, il a fini par atterrir dans un royaume qui a du pétrole, avant d'avoir une pensée émue pour les émeutiers d'un pays qui n'a pas beaucoup d'idées et n'aura bientôt plus de pétrole. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir