La fièvre n'étant pas encore retombée au pays de la Révolution du jasmin, autant succomber une fois de plus à cette catharsis jouissive qui libère nos refoulés en parlant de ceux que nos voisins, à l'Est, ont su extérioriser avec une odeur de raffinement jusque dans les moments de violence. Sinon, où trouver une inspiration politique qui permette de se brocarder «intra-muros» sans sombrer dans le pessimisme ? On ne va tout de même pas rabâcher nos sempiternelles revendications gloutonnes traitées par nos gouvernants comme de simples TOC, les troubles obsessionnels compulsifs. Le mieux, c'est d'être fort et de démontrer qu'un tube digestif peut aussi réfléchir. Surtout quand il est rassasié, bien huilé. Ils sont vraiment forts nos frères tunisiens. Non seulement ils ont contraint leur président à prendre la poudre d'escampette, mais leur ténacité a contraint les autorités en place à lancer dare-dare, via Interpol, un mandat d'arrêt international contre lui et son épouse. Belle façon d'empoisonner au couple de voleurs son exil doré à Djeddah. Il y a, bien entendu, peu de chances que le Serviteur des Deux Lieux Saints s'exécute. Il paraît que le satrape de Carthage n'a été accueilli dans le royaume wahhabite que par devoir de solidarité islamique. Une solidarité bien restrictive, en l'occurrence, puisqu'elle bénéficie en priorité aux dictateurs déchus, de préférence recommandés par les Américains. Ceci dit, en guise d'amicale recommandation à nos compatriotes qui seraient tentés d'y aller se réfugier en excipant de leur foi musulmane et de leur appartenance à la «Ouma». Une autre preuve que nos frères tunisiens sont forts : ils ont fait apparaître leur souffre-douleur de 23 ans pour ce qu'il est réellement. Dire que c'est d'abord un dictateur n'aurait pas forcément déplu à Ben Ali. Des despotes éclairés, des dictateurs non kleptomanes, des chefs d'Etat autoritaristes, de adeptes de pouvoir personnel, l'histoire de l'humanité en est jalonnée. Il y a même des exemples de dictateurs sincèrement aimés d'une majorité de leur peuple, à l'instar de Fidel Castro, Mao Tse Toung, Fréderic II de Prusse affublé du titre de despote éclairé et grand admirateur de Voltaire… Ben Ali, lui, sitôt «dégagé» du pouvoir, a brûlé les étapes en passant de son vivant à la postérité avec le titre peu glorieux de prédateur ayant exercé son sinistre magistère sous l'emprise d'une égérie dont l'arrivisme glauque n'avait d'égal que son insatiabilité d'or, d'argent et de biens. Il était dictateur, certes, mais un dictateur qui n'a pas attendu la fin de la première décennie de son règne pour assigner une fonction prioritaire à son despotisme : la prédation à grande échelle et organisée, à son profit et au profit des siens et de ses clans. Merci Mohamed Bouazizi et tous les Tunisiens qui sont descendus dans la rue, Ben Ali Baba restera dans la mémoire collective tunisienne et universelle comme un tyran destitué de son trône parce qu'il a été un grand voleur. Les autres motifs viennent ensuite.