S'il n'y a pas d'alternative crédible au système actuel qui agonise, il y a risque de balkanisation du pays. C'est le diagnostic que fait Saïd Sadi de la situation politique du pays. Il interpelle en premier les démocrates qui doivent se regrouper afin de peser sur la décision politique. Le président du RCD reste confiant dans la capacité de son parti à s'imposer sur le terrain. Mais il doit remédier à deux faiblesses : l'implication de la femme dans la mobilisation politique et la vigilance sur la capacité du pouvoir à corrompre matériellement et moralement. Sur l'allégeance du terrorisme algérien à Al Qaîda, Saïd Sadi y voit une affaire sérieuse. Pour contrer cette stratégie, il faut un projet qui redonne espoir à la jeunesse, du courage, du savoir-faire et du patriotisme. A deux mois de votre congrès, quel bilan tirez-vous pour votre formation depuis la dernière élection présidentielle et quels sont les enjeux politiques et organiques de ce troisième rendez-vous ? En 2004, il y a eu, ce qu'il faut bien appeler, un coup d'Etat électoral. Le signal était clair, le pluralisme politique devait être étouffé. L'opposition démocratique, la presse écrite indépendante, les syndicats autonomes découvrent aussitôt le « programme présidentiel » : répression, censure, déstabilisation occuperont l'essentiel des moyens de l'Etat. Face à cette situation, le RCD qui a la chance, si je puis dire, d'avoir connu la clandestinité a pu adapter sa lutte en privilégiant la communication de terrain. Naturellement, notre absence dans les médias en a inquiété plus d'un et on le comprend. Mais le travail de proximité paye toujours. On a vu le résultat lors des élections partielles en Kabylie. Sur le plan organique, la dynamique des adhésions et réadhésions est permanente et soutenue. L'Université d'été a été un franc succès. S'agissant du congrès, les préparatifs avancent bien. Les textes destinés à animer la base sont depuis septembre en débat et ouverts au public, grâce au site Internet qui connaît une consultation ascendante. Mais il faut croire que, du côté de l'administration, ce rendez-vous fait peur. Pouvez-vous être plus précis ? Deux faits témoignent d'une certaine fébrilité des pouvoirs publics. La salle omnisports de Tipaza que nous avions réservée pour accueillir les 2000 délégués nous a été refusée au motif qu'elle pouvait être dégradée. Nous nous sommes rabattus sur un privé à Aïn Bénian qui avait donné son accord. Une semaine après, les autorités décident de fermer les salles privées pour « une mise en conformité ». Mais, depuis, les choses semblent rentrer dans l'ordre. Faute de restaurer formellement le parti unique, des nostalgiques cultivent l'illusion de pouvoir imposer la pensée unique. Ce rendez-vous sera, surtout, un moment d'évaluation et de confirmation de la vitalité du combat démocratique. Notre congrès sera l'occasion pour délivrer deux messages : montrer que, quelle que soit la violence de l'Etat, il y a des Algériens qui n'ont jamais renoncé et préfigurer l'Algérie de demain. Le déficit démocratique est un thème récurrent dans la littérature politique et journalistique. Pensez-vous qu'il soit une réalité, auquel cas, serait-il le fait de l'impuissance ou de l'insuffisance des partis démocratiques ou bien d'une stratégie répressive mûrement conduite par les autorités politiques ? La stratégie répressive a vocation à produire le déficit démocratique. Il convient, néanmoins, de bien identifier les responsabilités et d'éviter de confondre les causes et les effets. La presse indépendante reproche à l'opposition démocratique sa faible visibilité et cette dernière déplore un certain repli dans l'audace qu'on lui avait connue. Le conflit n'oppose pas l'opposant et le journaliste indépendant qui sont tous deux victimes du même arbitraire. Est-ce que le système tient debout grâce à l'omnipotence, que vous avez dénoncé à plusieurs reprises, des services de renseignements ou bien existe-t-il d'autres ressorts sur lesquels il s'appuie ? Le drame en Algérie c'est que toutes les expériences sont poussées jusqu'à la caricature. Dans les pays de l'Est, ce genre d'organe a su comprendre les nécessités des transitions. A faire de la manipulation un mode de gestion exclusif, les services de renseignements algériens entretiennent un statu quo qui expose la nation aux plus grandes incertitudes. Les lignes de fractures, jusque-là masquées par la corruption, le clientélisme et l'autoritarisme, apparaissent au grand jour. Le refoulement du drame qui nous a ensanglantés menace de resurgir à n'importe quel moment. Les frustrations sociales et politiques dans le grand Sud dérivent vers un isolationnisme dont on peut redouter les évolutions. En Kabylie, la question identitaire, jusque-là couplée à la revendication démocratique nationale, connaît des saillies qui tirent vers la radicalité. Le tribalisme gangrène les institutions… Non, le système n'est pas debout, le bateau est dans la tempête. Si rien n'est fait rapidement, l'Algérie risque d'être la Yougoslavie d'Afrique du Nord. Certains observateurs décèlent une sorte de fin de règne du système politique actuel à la faveur de l'affaiblissement tant physique que politique du président de la République. Partagez-vous cette analyse ? La fin de règne était annoncée par octobre 88. Faute de se résoudre à assumer son blocage et son échec, il survit dans l'agonie, installant le pays dans la désespérance. Depuis 1988, la vie nationale est réduite à une succession d'occasions ratées. L'arrêt du processus électoral n'a pas été assumé dans ses implications politiques, l'épilogue tragique du retour de feu Boudiaf révèle la fragilité de toute initiative porteuse d'espoir et le reniement d'une résistance citoyenne exemplaire dévoile l'incohérence du régime et son incapacité à se projeter dans l'avenir. La maladie du chef de l'Etat et sa gestion médiatique ne font que souligner l'état comateux du système. Une coalition gouvernementale qui s'étripe sur tous les sujets, un ministre d'Etat revendiquant le statut de maître chanteur, un Parlement si insignifiant qu'il passe son temps à essayer de devancer les désirs du chef... La question n'est pas vraiment de disserter sur la nature ou l'avenir du régime mais de préparer la suite. Le projet de révision constitutionnelle a connu un itinéraire chaotique alors qu'il était censé, selon ses auteurs, insuffler une seconde vie au pouvoir politique. Quelles logiques ont prévalu sur ce dossier ? Cet itinéraire chaotique, comme vous dites, est une vraie photographie des arcanes d'un pouvoir sclérosé. Sans être idéale, la Constitution actuelle permet à tout responsable disposant d'une vision et d'un programme de mettre le pays en mouvement. Mais à l'évidence, les enjeux ne sont pas là. Deux démarches s'affrontent en évitant le clash. Pour un camp, l'intention était de désigner un vice-président ; pour l'autre, il s'agissait de maintenir le statu quo. Un cahier des charges doit être établi avec les acteurs déterminés à respecter les règles d'un Etat de droit. Concrètement, cela veut dire qu'un audit doit être fait pour évaluer sans complaisance les ressources de la nation, identifier les priorités, définir le timing pour leurs réalisations et répartir les tâches entre les différents acteurs acquis à la démarche. Encore faudrait-il que nous, démocrates, assumions notre statut. Les conservateurs et les islamistes sont identifiés. Les démocrates « votent utile » au moment décisif ; c'est-à-dire qu'ils renforcent le régime dont ils souhaitent la fin. Regroupés, ils sont plus crédibles pour peser sur la décision politique. Comment entamer une transition démocratique pendant qu'il en est encore temps ? Voilà la problématique pour les patriotes. La polémique sur la Constitution est aussi une forme de diversion. L'Algérie ne décolle toujours pas sur le plan économique en dépit de son aisance financière. Est-ce l'absence d'imagination et d'audace en matière de réformes qui explique cet état de fait ou bien d'autres facteurs, plus politiques, ceux-là, qui agissent ? Les facteurs qui concourent à créer ce paradoxe qui voit un Etat riche sombrer dans la contre-performance économique avec son lot de drames sociaux sont multiples. Il y a des raisons anciennes et d'autres plus conjoncturelles à ce marasme. L'Algérie découvre à ses dépens qu'il ne suffit pas d'avoir beaucoup d'argent pour provoquer une dynamique de développement. Une politique de formation démagogique a privé le pays de cadres nécessaires à son développement. La déstructuration des entreprises publiques n'a pas été précédée par une préparation du potentiel industriel à l'économie de marché. Le système bancaire algérien qui est le plus archaïque du bassin méditerranéen interdit toute performance… Plus immédiatement, l'absence de transparence précipite le pays dans l'incurie. Il ne suffit pas d'ouvrir des chantiers qui ne se terminent pas pour convaincre. Chacun sait que le million de logements annoncé pour l'horizon 2009 ne sera jamais atteint. Le manque de main-d'œuvre qualifiée, l'absence de stratégie de production rationnelle d'agrégats, le problème du foncier toujours en suspens font que les sommes débloquées pour le secteur du bâtiment vont, comme l'appréhendent d'ailleurs les institutions financières internationales, se dissoudre dans le gâchis et la corruption. On ne peut pas avoir une économie performante en paupérisant les classes moyennes ou en poussant à l'exil les cadres et ce n'est pas en invectivant les binationaux que l'on va rendre le pays attractif pour l'opérateur étranger. Je vous signale, qu'à l'inverse de nos voisins, nous n'avons pas enregistré une délocalisation. Pour l'instant, nos partenaires s'en tiennent à une attitude dans un marché qui importe tout et paie cash, un bazar où le négoce fleurit au détriment de l'investissement. Les parrains ne croient pas à l'Algérie qu'ils saignent. Tout ce qu'ils ont de plus cher est à l'étranger : leurs enfants, leur argent. Et quand ils sont malades, ils se font soigner à l'extérieur. Dans d'autres pays du Sud, il arrive que l'argent de la corruption soit réinjecté dans l'économie de production. En Chine, le régime politique est dur. Mais du moins, cette rigidité s'accompagne-t-elle d'une discipline économique dont les résultats mèneront tôt ou tard à plus de démocratie. Pour avoir des réussites, il faut une légitimité, une stabilité et un programme. J'entends les courtisans se réclamer du « programme du Président ». Je vais vous faire un aveu. En dehors de la répression, je ne connais pas ce programme. Les législatives et les communales prochaines seront-elles des moments de changements ou bien ces scrutins apparaissent-ils, dès maintenant, comme n'étant que des étapes parmi d'autres, destinées à pérenniser le système ? Bonne question. Pour l'heure, le comportement de l'administration ne pousse pas à l'optimisme. Le sectarisme, l'abus d'autorité et la corruption illustrent quotidiennement les dérives d'institutions livrées à elles-mêmes. Cela veut dire que le risque de fraude est toujours possible. Les prochaines échéances dépendront autant de l'état des rapports de forces dans le système, qui peuvent évoluer d'ici le printemps, que de la capacité des forces démocratiques à s'unir pour contrôler le scrutin et, éventuellement, présenter des listes communes. Il faut espérer, qu'à cette occasion, la raison finira par prévaloir et que ce qui n'a pas été possible lors des élections partielles de 2005, le soit cette fois. On évitera peut-être au pays ces situations qui exaspèrent les citoyens où l'on voit des acteurs qui revendiquent un statut d'opposants définitifs se compromettre dans des mésalliances avec les partis les plus rétrogrades de la coalition gouvernementale. Alors qu'on a, à maintes fois, annoncé sa défaite, voire sa reddition, par le biais de la charte sur la réconciliation, le terrorisme s'accroche toujours, développant de nouvelles nuisances. Comment expliquez-vous cette situation ? Prenez garde à vous. La charte interdit de parler de terrorisme. Sur ce registre comme sur l'économie on n'a que du gâchis. Pourtant, il suffisait d'assumer une résistance citoyenne qui, j'en suis persuadé, sera tôt ou tard revendiquée par notre peuple comme une des plus belles pages de son histoire. En tout état de cause, aucun pays confronté à ce genre de malheur n'a résolu la question par la répression, la censure et le refoulement. Toutes celles et ceux qui se sont battus disent aujourd'hui, passez-moi l'expression, qu'on ne les y reprendra plus. Ils préfèrent compter les points tant que ce régime est en place. Après une longue permission, certains terroristes ont repris du service avec, cette fois, le management d'Al Qaîda. Les analystes expliquent que les sites attaqués, les victimes ciblées, les moyens utilisés comme le mode opératoire sont des signes d'une reprise en main en tous points inquiétante. Au départ, l'Internationale islamiste a ciblé trois pays : l'Algérie pour son potentiel de développement, le Liban pour son statut de nation multiconfessionnelle et la Palestine pour sa pédagogie politique qui fait que, pour la première fois dans nos contrées, un mouvement national admet le pluralisme politique et la laïcité en son sein avant même d'accéder à l'indépendance. On ne bricole pas, on ne ruse pas avec ce genre de dossier. L'affaire est sérieuse. Pour en sortir, il faut un projet qui redonne espoir à la jeunesse première victime de ce carnage , du courage, du savoir-faire et, excusez-moi de le dire brutalement, un peu de patriotisme. Par les temps qui courent, il y a pénurie de ces marchandises sur le marché politique. L'Algérie vient de voir passer le 10 décembre, Journée des droits de l'homme, dans une quasi indifférence. Comment peut-on expliquer ce désenchantement ? On vient d'arrêter une directrice de journal pour chèque sans provision. Comme par hasard, c'est une journaliste critique. Vous êtes bien placés, dans la presse indépendante, pour apprécier le recul des libertés : censure, répression, dopage de titres aux ordres handicapent et empoisonnent l'action de la presse indépendante. Les syndicats autonomes, dont on ne salue pas assez le courage, sont illégalement sanctionnés à la moindre contestation. L'opposition démocratique n'a pas une seconde de répit. Emprisonnements, enlèvements, déstabilisation et interdiction d'activité sont le lot quotidien de toute organisation autonome. Malgré cela, dans les réunions de préparation de notre congrès, je remarque que le combat que nous avons mené aide nos concitoyens qui se battent pour revendiquer leurs droits. Il y a moins de renoncement devant l'abus. Et cela est très important. Deux de mes parents, dont un brillant étudiant, sont en prison depuis bientôt trois ans avec un dossier vide. Le but est de faire pression sur moi et de tétaniser les étudiants qui seraient tentés de nous suivre. Vous savez ce qu'ils m'ont dit dernièrement ? : « Ne cède pas quoi qu'il puisse en coûter. » Cette détermination peut faiblir dans la société mais elle ne disparaîtra plus jamais. Les dirigeants les plus grands forcent le respect. Ceux qui croient faire peur sont en fait des faibles. La question identitaire dont vous êtes un ardent défenseur s'est arrêtée à l'officialisation de la langue amazighe alors que c'est un chantier beaucoup plus complexe. Pour quelles raisons ? Excusez-moi de vous reprendre. Il n'y a pas eu d'officialisation mais reconnaissance du statut de langue nationale à la langue amazighe ; ce qui est, du point de vue symbolique, important mais ne constitue pas d'obligation pour l'Etat de mettre en œuvre une politique de développement linguistique et culturel. Le problème de la langue peut être réglé dans le cadre d'une option de co-officialité ; c'est-à-dire que dans les espaces où cette langue est parlée il faudra que l'Etat la prenne en charge au côté de la langue arabe. Mais vous avez raison de dire que ce chantier est plus important. Il est, avec le statut de la femme, l'indicateur le plus pertinent pour connaître les intentions du pouvoir. La question amazighe soulève à la fois le problème de l'histoire et de l'avenir national et nord-africain. Mais une telle vision suppose une démocratisation des institutions qui délègue un maximum de prérogatives aux régions. Cela appelle plus de justice, plus de transparence, plus de liberté d'expression pour une production culturelle qui assume nos épreuves et nos gloires. A l'évidence, pour l'instant nous, on n'en prend pas le chemin. Restons dans le domaine culturel. Alger est consacrée cette année capitale de la culture arabe. Que vous inspire une telle manifestation ? Les rares œuvres culturelles qui sont produites dans le monde arabe sont encore celles qui échappent au despotisme des dirigeants. Alors pour ce qu'il y a à célébrer… Mais le pire est dans la gabegie de cette manifestation. On a le vertige quand on traduit ce budget en nombre d'infrastructures culturelles pour le pays, programme de soutien à l'édition, formation de guide pour valoriser et protéger un patrimoine archéologique et un désert, véritable musée à ciel ouvert, abandonnés aux vols et aux dégradations irrémédiables… Le recours à la pompe est un vieux classique des monarchies décadentes. L'Algérie vient d'accueillir un des siens en la personne de la star du football Zidane. Comment interprétez-vous cette visite ? Il y a deux aspects dans ce déplacement. Le désir de ressourcement et le traitement officiel. Quand on voit un homme d'une telle notoriété éprouver le besoin de retrouver ses racines, on se prend à se dire que rien n'est perdu pour ce pays. Que le petit village d'Aguemoune appelle et qu'il soit entendu confirment une humilité et une générosité qui honorent Zidane. Mais quand on observe le registre officiel, on est consterné. Un diplomate algérien me disait il y a moins d'un mois que le ministre de la Solidarité, croyant faire plaisir au chef, s'était répandu, à son tour, en diatribes contre les binationaux dont Zidane est la figure emblématique. Que le même ministre cherche à impliquer Zidane, à son insu, dans une politique de « réconciliation nationale » qui continue d'endeuiller le pays en procédant à un grossier montage photographique est tout simplement indécent. Mais les Algériens ne sont pas dupes. La froideur d'Alger n'avait d'égal que la ferveur d'Aguemoune quand le pouvoir était moins visible. L'immigration clandestine commence à prendre des formes d'une véritable bombe à retardement et les autorités de notre pays ne semblent pas en prendre conscience. Pourquoi ? Mais c'est une vieille tradition. Les dirigeants ne s'occupent pas « des bombes à retardement » pour reprendre votre expression. Seul ce qui menace le pouvoir les mobilise. Dans le prochain quart de siècle les estimations les plus prudentes annoncent un afflux de près de quarante millions de migrants subsahariens. On imagine sans peine les problèmes sociaux, économiques et sécuritaires que cette poussée va produire si une initiative des Etats péri-sahariens n'est pas prise en faveur de ces populations. Parce qu'elle est un terrain d'accueil ou un passage privilégié et qu'elle a des frontières communes avec la plupart des pays concernés, l'Algérie a vocation et autorité à piloter cette démarche qui ne manquera pas d'intéresser nos partenaires et les grandes instances internationales de plus en plus préoccupés par l'émigration sauvage. J'ai souvent été amené à dire que notre pays a eu beaucoup d'hommes de pouvoir mais peu d'hommes d'Etat. Ce dossier confirme la pérennité de la malédiction. Le Maghreb n'arrête pas de s'enfoncer dans la crise ; ce qui prive tous les pays de la région de gains importants. Comment voyez-vous la sortie de l'impasse ? La sortie de l'impasse se fera par la démocratisation des trois pays. Chaque action faite à l'intérieur porte l'espérance de la Fédération des états nord-africains revendiquée dès 1958 par la Conférence de Tanger comme le parachèvement naturel de nos indépendances. Pour l'heure, il faut se satisfaire de la diplomatie des petits pas. Garder le contact entre forces progressistes pour entretenir la perspective d'une entente qui détermine la survie de tous. Croyez-moi, les islamistes, eux, ne s'embarrassent pas de chauvinisme pour construire leurs solidarités. En France, la volonté de tourner la page avec l'Algérie est contrariée par la glorification du passé colonial dont les partisans semblent avoir pris le dessus. Pour quelle raison ? La France est en crise identitaire et politique. Certains pensent que c'est en récupérant et en maquillant l'intégralité de son histoire qu'elle va retrouver son lustre, d'où un certain acharnement à tout revendiquer, y compris les pages les plus sombres de son passé. Mais en posant la question de savoir si la colonisation a laissé derrière elle quelques infrastructures dont bénéficient les anciens colonisés, les auteurs de cette glorification faussent le problème. La question est de savoir pour qui et pourquoi cela a été fait. Quel était le but de la colonisation ? La réponse est simple : occuper, asservir et spolier. Pour autant, il ne faut pas, non plus, céder à la démagogie qui ramène tous nos malheurs actuels au fait colonial. Dire qu'il y a eu des chambres à gaz en Algérie n'est ni crédible ni efficace. La colonisation était suffisamment horrible pour ne pas en rajouter. Mais chez nous aussi on masque nos échecs par la manipulation de cet épisode. On voit bien que des deux côtés de la Méditerranée, le traitement de ce dossier est motivé par des considérations politiciennes et non historiques. L'Irak s'enfonce inexorablement dans le chaos et la Palestine ne voit aucune fin à son calvaire. Qu'est-ce qui peut arrêter cette double spirale de la mort ? Si on s'en tient à la situation actuelle, on voit bien peu de choses qui pousseraient à l'optimisme. L'intervention américaine et son unilatéralisme pro-israélien ont réussi l'exploit de jeter dans les bras de l'islamisme l'essentiel des cadres de l'armée irakienne, réveiller les vieilles haines interconfessionnelles et provoquer des climats de guerre civile au Liban et en Palestine. Quand tout espoir est bouché, ce sont toujours les extrêmes qui émergent. Dans l'immédiat, il faudra essayer de limiter la souffrance en sensibilisant les opinions occidentales pour amener leurs gouvernements à se démarquer de la stratégie du pire de Washington et de ses alliés. Mais à terme, la solution à ces tragédies dépend aussi de la démocratisation des pays limitrophes. Un responsable palestinien me faisait récemment encore ce terrible aveu : « L'avènement d'un Etat palestinien laïc et démocratique fait peur autant à Israël qu'à tous les potentats arabes. » Pour conclure docteur, si vous deviez jeter un regard critique sur votre action politique depuis 1999, quels sont les actes qui vous paraissent les plus déterminants et ceux qui vous semblent les moins probants ? Dans toute évaluation, il y a des appréciations nuancées a fortiori dans une situation aussi confuse et bloquée que la nôtre. Mais je crois que nous pouvions travailler à une plus grande implication de la femme dans la mobilisation politique. Sur ce terrain, les islamistes ont mieux fait. Quelles que soient les entraves et les déceptions, nous aurions dû consacrer plus de temps et d'énergie à cette participation sans laquelle aucune émancipation sérieuse n'est possible. Nous sommes en train de faire de grands efforts au RCD pour remédier à cette faiblesse à la faveur d'un congrès mais nous avons perdu du temps. Le deuxième élément que nous avons sous-évalué concerne la capacité du pouvoir, notamment depuis l'avènement de Bouteflika, à corrompre matériellement et moralement. Issus de la clandestinité, nous avions présumé de notre capacité à prémunir nos rangs des appels et des tentations du pouvoir. Cette absence de vigilance de notre part a provoqué des situations qui ont troublé l'opinion et, un instant, perturbé le parti. Pour le reste, il ne m'appartient pas de souligner ce que nous avons accompli. Je voudrais simplement dire que jamais je ne céderai face à l'abus. Mais puisque vous m'en donnez l'occasion, j'aimerais ajouter quelque chose. Il est normal que l'on demande plus à l'opposition mais il faudrait que notre génération se libère de ce conditionnement qui fait qu'un responsable, même démissionnaire ou occasionnel, est naturellement éligible à l'exercice du pouvoir dès lors qu'il est ou qu'il a appartenu au pouvoir. Merci de m'avoir donné la parole.