Des milliers de personnes sont descendues dans la rue hier en Syrie pour demander des réformes et honorer la mémoire des dizaines de victimes de la répression d'une semaine de manifestations à Deraa (sud), épicentre de la contestation. Les journalistes qui ont tenté d'entrer dans la vieille ville de Deraa, où se sont déroulées l'essentiel des violences ces derniers jours, ont été escortés hors de la localité par deux véhicules de la sécurité. Dans les heures qui ont suivi, des messages sur les réseaux sociaux faisaient état de rassemblements de foule, mais ces informations ne pouvaient être vérifiées de source indépendante dans l'immédiat. Après la prière du vendredi, des motocyclistes et des automobilistes ont fait retentir leurs klaxons dans le village de Dael, près de Deraa, tandis que plusieurs centaines d'hommes défilaient, certains scandant «Dael et Deraa ne seront pas humiliées !» Des agents de sécurité en civil étaient présents mais ne sont pas intervenus. De nombreuses personnes se sont rassemblées dans les villages voisins, en préparation semble-t-il, d'une marche vers Deraa. Mais les soldats syriens se sont déployés sur une route, apparemment pour empêcher une telle marche. Selon un militant des droits de l'homme, citant des témoins, des milliers de personnes se rassemblaient à Douma, près de la capitale Damas, en soutien aux habitants de Deraa. A Damas, quelque 200 personnes près de la place Marjeh ont crié «Notre âme, notre sang, nous le sacrifions pour toi Deraa !» et «Liberté ! liberté !». Les forces de sécurité ont dispersé la foule, frappant certains manifestants avec des matraques et en interpellant d'autres, selon un militant. Ce dernier a également évoqué des informations faisant état de rassemblements dans la ville côtière de Latakia, à Raqqa (nord) et à Zabadani (ouest). Le régime syrien a lâché du lest jeudi annonçant qu'il envisageait une levée de l'état d'urgence en vigueur depuis 1963 et entendait donner davantage de libertés politiques suite aux manifestations de ces derniers jours à Deraa. Mais les promesses du régime ont été immédiatement rejetées par de nombreux militants qui ont appelé à des manifestations dans tout le pays hier en réponse à la répression à Deraa. Après la prière, à la mosquée des Omeyades, dans le cœur de Damas, des dizaines de manifestants sont sortis dans la rue vers le souk Hamadiyeh, en criant «Deraa, c'est la Syrie», «Nous nous sacrifierons pour Deraa», «Dieu, la Syrie, la liberté et c'est tout». Les manifestants ont croisé des partisans du régime qui leur répondaient «Avec notre sang et notre âme, nous nous sacrifions pour Bachar» al-Assad, le chef de l'Etat, «Dieu, la Syrie, Bachar et c'est tout». Dans le Sud, à Daael, à 30 km au nord de Deraa, 300 personnes, précédées par une dizaine de motards, criaient «Daael et Deraa ne se laisseront pas humilier». Au moins 100 personnes auraient été tuées mercredi par les forces de l'ordre, noyau de la contestation contre le régime, selon des militants des droits de l'homme. Les autorités syriennes ont affirmé qu'elles envisageaient l'annulation de l'état d'urgence, promis des mesures anti-corruption et annoncé des libérations. Une conseillère du président Bachar Al Assad, Boutheïna Chaabane, a déclaré lors d'une conférence de presse à Damas que les demandes de la population étaient «légitimes». «La Syrie va étudier l'annulation de la loi sur l'état d'urgence» en vigueur depuis 1963, a affirmé Mme Boutheïna, en référence à une des revendications principales des protestataires. Elle a ajouté que de «nouveaux mécanismes pour lutter contre la corruption» allaient être mis en place, alors que l'agence de presse officielle Sana annonçait une augmentation des salaires des fonctionnaires de 30%. La télévision d'Etat a fait état de son côté de la libération de «toutes les personnes détenues lors des récents évènements». Revenant sur le bilan des manifestants tués, la conseillère du président Al Assad a fait état d'une «enquête» pour déterminer qui étaient les responsables de ces manifestations, évoquant un «financement étranger». Elle a indiqué par ailleurs que 10 personnes avaient été tuées depuis le 15 mars, reprochant aux médias étrangers d'exagérer le nombre de victimes.