Des dizaines de milliers de Syriens ont manifesté hier contre le régime à travers tout le pays, malgré la libération de manifestants arrêtés depuis le début du mouvement de contestation, il y a un mois, et au lendemain de la formation d'un nouveau gouvernement chargé de mener des réformes. «Entre 2500 et 3000 personnes manifestent sur la place Al Saraya, dans le centre de Deraa, en scandant des slogans en faveur de la liberté et hostiles au régime», a affirmé un militant des droits de l'homme. «Plutôt la mort que l'humiliation» scandaient, selon lui les manifestants. D'autres sont «en train de venir des villages voisins», a-t-il dit. Les forces de sécurité n'étaient pas intervenues en milieu de journée. A Qamishli, dans le nord-est du pays, à majorité kurde, près de 5000 personnes ont manifesté après la prière, a affirmé un autre militant des droits de l'homme, Hassan Berro. Dans trois autres localités kurdes, Raas Al Aïn, Amouda et Derbassiyé, près de Qamishli, on a compté quelque 4500 manifestants, selon M. Berro. Selon des militants et des témoins, des centaines de personnes ont défilé à Banias aux cris du «Le peuple veut la liberté». A Homs (centre), quelque 4000 autres scandaient «Liberté, liberté», a indiqué le militant politique Najati Tayara. Les forces de sécurité sont intervenues au bout d'une heure pour les disperser à coups de matraque. A Lattaquié, ville côtière où des violences meurtrières avaient éclaté fin mars, un millier de personnes se sont rassemblées dans le centre de la ville, selon un militant des droits de l'homme. Une cinquantaine de personnes ont manifesté à Barzé, près de Damas. L'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) a annoncé la libération jeudi et vendredi de «centaines» de personnes «arrêtées» lors de manifestations dans plusieurs villes du pays. L'OSDH fait notamment état de la libération du blogueur Ahmad Hadifa, «arrêté le 23 mars en raison de ses activités sur Facebook», et du poète Mohammad Mahmoud Dibo, arrêté le 19 mars près de Banias. Jeudi soir, la télévision d'Etat avait annoncé que le président Bachar Al Assad avait décidé de libérer les personnes arrêtées, à l'exception de celles qui ont commis des «actes criminels». L'organisation Human Rights Watch (HRW) a accusé jeudi les services de sécurité syriens d'avoir torturé de nombreux manifestants parmi les centaines arrêtés depuis le début du mouvement de contestation. Selon Amnesty International, au moins 200 personnes ont été tuées dans la répression, la plupart par les forces de sécurité ou par des policiers en civil. Les autorités accusent des bandes «criminelles» ou «armées» d'être responsables des tirs qui ont tué des manifestants et des forces de l'ordre. Entre temps, la pression internationale a continué de s'accentuer sur la Syrie, accusée de réprimer le mouvement de contestation avec l'aide de l'Iran, au moment où le régime annonçait un nouveau gouvernement, chargé de mener des réformes, et la libération de prisonniers. Les Etats-Unis ont accusé l'Iran d'aider Damas à réprimer les manifestations. «Nous pensons qu'il y a des informations crédibles sur le fait que l'Iran aide la Syrie à réprimer les manifestants», a déclaré Mark Toner, le porte-parole du département d'Etat. «Si la Syrie se tourne vers l'Iran pour demander de l'aide, elle ne peut pas parler sérieusement de réformes», a-t-il ajouté. La Syrie a, elle, parlé d'accusations «sans fondement». «Si le département d'Etat a des preuves, qu'il les donne», a indiqué un responsable du ministère des Affaires étrangères. Les ambassadeurs de France, d'Allemagne, d'Italie, d'Espagne, et de Grande-Bretagne à Damas ont exprimé de leur côté leur inquiétude au ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Mouallem. Ils ont «condamné l'usage de la force par les forces de l'ordre à l'encontre de manifestants pacifistes» et appelé le gouvernement à «engager des réformes politiques crédibles». La Commission européenne a exclu de son côté de signer dans l'immédiat un accord d'association avec la Syrie prévoyant des aides, en soulignant «une très grande préoccupation». «La priorité absolue est que les forces de sécurité syriennes cessent de faire usage de la force contre les manifestants pacifiques et que la Syrie s'engage sérieusement à faire des réformes», a ajouté une porte-parole. De son côté, Damas a appelé le Liban à «agir» après que des membres présumés d'un «réseau terroriste» ont affirmé avoir reçu des armes de l'étranger, notamment d'un député libanais, pour inciter à la contestation en Syrie. Des centaines de camions en provenance du Liban étaient retenus jeudi du côté syrien de la frontière en raison de contrôles de sécurité «renforcés», selon les services de sécurité libanais. Dans le même temps, un nouveau gouvernement a été formé, dirigé par Adel Safar, ancien ministre de l'Agriculture. Il doit mener un programme de réformes comprenant notamment la levée de la loi d'urgence, en vigueur depuis 1963, la libéralisation de la presse et l'instauration du pluralisme politique. Les titulaires des principaux ministères, notamment celui de la Défense, des Affaires étrangères et du Pétrole restent inchangés. Autre mesure visant à calmer la rue, le président Bachar al-Assad a décidé de «libérer tous les détenus sur fond des derniers évènements, à l'exception de ceux qui ont commis des actes criminels envers la patrie et les citoyens», selon la télévision officielle.