Connu pour sa riche filmographie, Abderrezak Hellal a fait du septième art un moyen efficace pour évoquer les évènements d'actualité et historiques. De ses romans émanent beaucoup de finesse et de sagacité. Ils plaident pour un homme conscient des problèmes de l'Algérie d'une période donnée. Son humour et sa dérision avec lesquels il traite de la vie en Algérie témoignent de sa pertinence. Dans ce nouvel ouvrage sur l'histoire du cinéma, il fait un tour d'horizon sur le cinéma durant la période coloniale. Sa perception vise à démystifier la vison européocentriste. Dans cet entretien, l'auteur et réalisateur rappelle avec insistance et moult détails les raisons de cette occultation. Hellal qui aime autant les images que les mots a comme credo le travail. Films ou livres, l'essentiel réside dans ce travail qui est un acte de résistance prôné par cet homme dont la stature n'a de pareil que son talent. Le Temps d'Algérie : Pourquoi avoir fait ce travail de recherche ? Abderrezak Hellal : Pour combler un vide et «casser le monopole de la vision historique de notre pays par un certain nombre de chercheurs estampillés spécialistes de cette question. J'estime que le champ de l'investigation universitaire doit être illimité, encore moins, réduit à quelques magiciens, à charge pour vous de prouver votre sérieux et votre compétence en citant vos sources. Notre passé est si riche, si complexe qu'il mérite toutes les attentions. Aujourd'hui, la question de l'image est primordiale. Elle suscite toutes les études. Elle est d'autant plus primordiale car liée à l'histoire. Or ce champ en Algérie est vierge. Combien d'ouvrages sont consacrés à l'histoire et le cinéma. Très peu. Combien d'ouvrages font-ils autorité ? Deux. Je rappelle qu'avant d'être réalisateur, je suis universitaire.
Ce livre est-il le résultat d'une thèse car bien documenté et bien mené ? Non ce n'est pas le résultat d'une thèse, bien que la mienne ait porté sur un travail similaire. C'est un travail de recherche classique qui n'exclut pas le plaisir de la lecture et de l'écriture. J'ai pris mon temps, encore faut-il préciser le manque de moyens pour aller vérifier le contenu de toutes les images, certains films ont disparu. Heureusement qu'il reste des catalogues et des revues. Savez-vous que certaines archives sont disponibles dans certaines APC et wilayas. Ce sont des mines de renseignements pour le chercheur. J'aurais aimé traiter toute l'iconographie de Life Magazine consacrée au FLN à Tunis quand l'Algérie était en armes. Ce serait passionnant de voir comment les photographes américains «shootaient les représentants du FLN et ALN». «Si mon ouvrage est bien documenté, je le dois à tous mes collaborateurs et collaboratrices qui me signalent toute trace liée à mon sujet. Je remercie l'actuel directeur du CNCA, monsieur Karim Aït Oumeziane qui m'a permis de consulter des documents de première main ainsi que son prédécesseur M. Lies.
Avez-vous eu des difficultés à avoir certaines informations et à obtenir des photos d'archives ? Aujourd'hui, il n'y a plus de difficultés à avoir des informations. Il y en a une cependant. Elle a trait aux victimes de la bleuite fomentée par le capitaine Léger. Voici les faits, nous sommes en pleine guerre, l'ALN est structurée, une dizaine de techniciens algériens exerçant à la télévision française à Alger prennent le chemin du maquis. Le capitaine Léger allume un contre-feu. Il fait courir une rumeur selon laquelle «ces techniciens travaillent pour la France». Il y aura un seul survivant Youssef Sahraoui, immense directeur de la photographie. Dois-je remercier le jeune revendeur de DVX qui m'a permis d'acquérir une des plus belles copies de Pépé le Moko et des 5 gentlemen maudits de Julien Duvivier, des films qui datent des années 1930. Le Bled de Jean Renoir est disponible à la cinémathèque française. La cinémathèque algérienne est également assez riche.
Vous slalomez entre écriture et réalisation de films. Est-il aisé de le faire ? Pour moi l'écriture est un plaisir quel que soit le genre ou la forme. J'allie plaisir et recherche. S'il y a absence de plaisir, il n'y a pas de recherche. C'est comme le tournage ou le montage. Je ne peux pas travailler avec des collaborateurs non impliqués dans le projet. J'ai viré littéralement un technicien coupable d'avoir ouvert son journal sur le plateau. C'est irrespectueux et anti-professionnel !
Avez-vous une prédilection pour le cinéma ou l'écriture ? J'aime autant les images que les mots. Pour moi, ce sont des prétextes qui débouchent sur l'expression, mais le temps de l'écriture de la fiction est long et lent. Il exige une période d'incubation importante. Celui de l'écriture cinématographique est beaucoup plus technique. Il devient une création après sa traduction en images et en sons. Ecrire une nouvelle, une vraie, pas un récit ou un rebut de récit. Une fin de chapitre oubliée est aussi jouissif que de composer un plan séquence, un vrai plan séquence avec déplacement des comédiens et maintien de la profondeur de champ. Quels sont vos futurs projets littéraires et cinématographiques ? Tout créateur a une ambition et donc des projets. Je vais entamer un documentaire fiction à propos d'une période historique cruciale, la veille de l'an de grâce 1954, ensuite une mini série de fiction dramatique. Entretemps, j'espère que mon éditeur sera à la hauteur pour faire paraître mon roman intitulé De si longues funérailles, un requiem consacré à la décennie sanglante, noire, apocalyptique, déchirante. Enfin, avec la complicité et la collaboration de mon ami Amar Belkhodja, nous allons mettre en images l'itinéraire exemplaire d'un chahid de Tiaret, Hamdani Adda, tiré de son ouvrage éponyme. Ce sera bien entendu un documentaire fiction. Bref, travailler est un acte de vie, pas d'existence. Mieux, c'est un acte de résistance. La question des moyens de production se pose : avec quel argent ? Voyons avec la qualité des textes, vous pouvez ouvrir des fenêtres et c'est déjà l'air du large, de l'évasion, de la salinité de la mer et de l'odeur des feuilles mouillées. Entretien réalisé par Kheira Attouche