Les images reviennent comme revient la fatalité. Un soupçon de pluie et les routes d'Alger s'enfièvrent jusqu'à l'hypothermie. Une atmosphère de fin du monde s'installe sur le bitume avant que le bitume n'ait eu le temps de se tremper. C'est ainsi depuis longtemps, quelques gouttes et c'est la débandade. C'était encore le cas hier comme c'était le cas il y a déjà longtemps de cela. L'apocalypse commence toujours comme ça, même quand seuls le provoquent quelques traumatismes qui ont gardé toute leur fraîcheur dans les têtes. La pluie commence à tomber et les automobilistes tombent dans le sauve-qui-peut. Alors ils fuient un danger potentiel pour se mettre en danger réel et en mettant en péril la sécurité des autres. Il pleut et alors ? On se sauve. On ne sait pas pourquoi ni comment, mais on se sauve. Les images de fin du monde sont ainsi, plus personne ne s'occupe de l'autre. Elles se précisent quand ceux qui sont censés s'occuper de tout le monde commencent à quitter le navire asphalté. Il n'y a pas que les images qui suggèrent la proximité de l'enfer, il y a aussi les commentaires de circonstance. Pour accompagner un mouvement de folie qu'il veut faire à son véhicule, ce quidam s'avertit et avertit le passager imaginaire installé à côté de lui : «C'est comme ça que ça a commencé à Bab El Oued, tout le monde s'en souvient.» Puis cet autre à son voisin de file qui ne sait pas pourquoi il a ouvert sa vitre : «Il vaut mieux faire demi-tour, mon frère, ça sent mauvais, vous entendez ce bruit bizarre, c'est un oued qui a quitté son lit !» Les automobilistes ont peur de la pluie, la route a peur des automobilistes. Tout le monde a peur et ça devient dangereux. La pluie a cessé de tomber sur le bitume mais elle continue de se déverser dans les têtes. Il n'y a pas plus dangereux que quelqu'un qui ne sait pas de quoi il a peur. Il tente n'importe quoi sans vraiment en mesurer les conséquences. Alger en ce lundi matin fait du pare-choc contre pare-choc à des heures indues parce qu'habituellement clémentes. Des regards se croisent pour partager une angoisse censée tomber du ciel. «Le grand embouteillage» en ciné-réalité, loin de l'imagination de Comencini, la vista de Mastroianni et du charme de Miou Miou. Hier matin, il n'a pas vraiment plu, mais l'alerte à la goutte est une fatalité. Parfois dramatique, puisqu'il y a encore eu quelques «dérapages». Il devait pleuvoir encore plus dans la soirée et après. La pluie nettoie le bitume, elle n'efface pas la peur. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir