Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a accusé, hier, le président français Nicolas Sarkozy de jouer sur «la haine du musulman et du Turc» en réaction au vote en France d'un texte de loi réprimant la négation du génocide arménien. Le président français Nicolas Sarkozy a répondu hier à la Turquie en insistant sur le respect des «convictions» de chacun. Cette tension entre Ankara et Paris va-t-elle déboucher sur la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays ? Les premières décisions prises par Recep Tayyip Erdogan à l'encontre de la France sont lourdes de conséquences. «Je respecte les convictions de nos amis turcs, c'est un grand pays, une grande civilisation. Ils doivent respecter les nôtres», a déclaré hier le président français Sarkozy devant la presse à Prague, où il est arrivé pour assister aux obsèques de l'ancien président tchèque Vaclav Havel. «La France ne donne de leçons à personne, mais la France n'entend pas en recevoir», a aussi déclaré Nicolas Sarkozy. «La France définit souverainement sa politique», a insisté le président français en estimant : «En toute circonstance, il faut garder son sang-froid et son calme. La France ne demande pas l'autorisation, la France a des convictions, des droits de l'homme, le respect de la mémoire.» De son côté, le premier ministre turc n'a pas hésité à critiquer la France avec des mots acerbes. «Le président français Sarkozy a commencé à rechercher des gains électoraux en utilisant la haine du musulman et du Turc», a déclaré Recep Tayyip Erdogan lors d'une conférence à Istanbul. «Ce vote qui a eu lieu en France, une France où vivent environ cinq millions de musulmans, a clairement montré à quel point le racisme, la discrimination et l'islamophobie ont atteint des dimensions dangereuses en France et en Europe», a ajouté le Premier ministre turc. Recep Tayyip Erdogan a appelé la France à assumer son propre passé. «On estime que 15% de la population algérienne a été massacrée par les Français à partir de 1945. Il s'agit d'un génocide», a-t-il déclaré, faisant référence aux violences commises lors du processus d'indépendance de l'Algérie de la domination française, entre 1945 et 1962. «Si le président français Sarkozy ne sait pas qu'il y a eu un génocide, il peut demander à son père Pal Sarkozy (...), qui a été légionnaire en Algérie dans les années 1940, a-t-il ajouté. Je suis sûr qu'il (Pal Sarkozy) a beaucoup de choses à dire à son fils sur les massacres commis par les Français en Algérie.» Indépendamment de la colère d'Erdogan, la citation de l'histoire de l'Algérie dans cette affaire bilatérale n'a pas lieu d'être. Les responsables turcs feront mieux de se défendre autrement qu'en citant le passé algérien. L'Algérie est un pays souverain et n'a pas besoin d'Erdogan pour instrumentaliser son histoire dans un cadre bilatéral qui ne le concerne pas. Sachant que ce dernier reste aux yeux de l'opinion publique nationale et internationale un allié indéfectible de l'Occident et n'hésite pas à les soutenir sur les questions internationales. Pour revenir au vote, l'Assemblée française a approuvé, jeudi, une proposition de loi réprimant d'un an de prison et d'une amende la contestation du génocide arménien de 1915-1917, suscitant la colère d'Ankara qui réfute le caractère génocidaire des massacres survenus dans les dernières années de l'Empire ottoman. Les députés français ont voté une proposition de loi pénalisant d'un an de prison et 45 000 euros d'amende la négation d'un génocide reconnu par la loi, comme l'est depuis 2001 en France le génocide arménien de 1915, qui a fait 1,5 million de morts, selon les Arméniens. La Turquie reconnaît que jusqu'à 500 000 Arméniens sont morts pendant des combats et leur déportation, mais non pas par une volonté d'extermination. Pour entrer en vigueur, la proposition de loi devra cependant aussi être adoptée par le Sénat, ce qui pourrait prendre plusieurs mois. L'ambassadeur turc a quitté la France Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan avait ordonné jeudi en représailles la suspension des visites bilatérales, le rappel pour consultations de l'ambassadeur de Turquie en France et ajouté que «les exercices militaires communs avec la France et toutes les activités militaires avec ce pays avaient été annulés» pour protester contre l'adoption de ce texte. M. Erdogan avait détaillé les mesures de représailles, indiquant que la Turquie statuerait désormais au cas par cas sur toute demande militaire française d'utiliser son espace aérien et «rejette dorénavant toute demande» de visite des ports turcs par des bâtiments de guerre français. Le Premier ministre turc a expliqué qu'il s'agissait là d'un premier train de sanctions contre la France, alliée de la Turquie au sein de l'Otan, et que, éprogressivementé, d'autres mesures pourraient être mises en œuvre. «Nous révisons nos relations avec la France», a déclaré M. Erdogan qui a expliqué que la Turquie ne participerait pas à un comité économique mixte France-Turquie prévu pour janvier à Paris. La Turquie met aussi fin aux consultations politiques avec la France, notamment sur des dossiers sensibles comme la Syrie, où Ankara voulait jouer un rôle central. «Malheureusement, cette proposition de loi a été adoptée malgré tous nos avertissements (...) Cela va ouvrir des plaies irréparables et très profondes dans les relations bilatérales», a averti le Chef du gouvernement. Le volume bilatéral des échanges s'est chiffré à près de 12 milliards d'euros en 2010. Selon l'ambassadeur turc qui s'exprimait jeudi soir après l'annonce de son renvoi, son homologue français à Ankara ne sera pas rappelé pour consultations.