«Je suis un mort en sursis. Je suis conscient du danger permanent qui pèse sur moi de la part des groupes armés et des terroristes islamistes, du pouvoir, sans compter tous ceux que je dérange et qui me détestent. Je sais que je vais tomber entre leurs mains, probable qu'ils m'auront un jour ou l'autre. Cependant, quoi qu'il arrive, l'Algérie est ma patrie, je préfère mourir parmi les miens et si on m'assassine, qu'on me couvre du drapeau national et que les démocrates m'enterrent dans mon village. Ce jour-là, j'entrerai définitivement dans l'éternité», a déclaré Matoub Lounès, en 1995, sur le plateau d'une télévision française. Une phrase lourde de sens qui résume à elle seule le courage et la détermination du chantre de l'amazighité. Le «vœu» du Rebelle est exhaussé ! Matoub Lounès tombe, effectivement, trois ans plus tard après cette déclaration entre les mains de ses ennemis, les terroristes. Ils l'assassinent en plein jour, froidement, devant sa femme et ses deux belles-sœurs, le 25 juin 1998, à Thala Bounane, 10 km au sud de Tizi Ouzou, sur une route qui mène vers son village natal, Taourirt Moussa Ouamar, à Béni Douala. Quatorze ans après son assassinat, Matoub reste le chanteur le plus populaire et le plus écouté en Kabylie et un peu partout en Algérie. «La moitié des CD que je vends sont ceux de Matoub, l'autre moitié sont ceux des autres chanteurs», témoigne un disquaire du centre-ville de Tizi Ouzou. Partout, dans les cafés, les bus, les voitures, sur les plages, lors de manifestations populaires… la voix de Matoub Lounès tonne sans cesse et dans les quatre coins de la Kabylie. C'est un chanteur qui est entré dans la légende. Même la nouvelle génération, celle née après sa mort, le vénère. «Je suis une férue de rap, mais les chansons de Matoub sont une autre paire de manches. Elles sont exceptionnelles ! C'est le meilleur chanteur algérien de tous les temps !», dira une étudiante à l'université de Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou. A l'occasion du 14e anniversaire de sa disparition, des festivités sont organisées dans les villages les plus reculés de la Kabylie par les militants de la cause amazighe et du mouvement associatif. Chaque région compte fêter à sa manière la date fatidique du 25 juin 1998. Aujourd'hui, la langue tamazight est enseignée dans les écoles et l'université en Algérie, une chaîne de télévision en berbère existe aussi, mais le chemin de l'officialisation de la langue de Massinissa reste long. Il faut d'autres sacrifices ! Qui a tué Matoub ? Par ailleurs, la question qui revient sur les lèvres des Kabyles et qui taraude toujours les esprits est celle liée aux auteurs de son assassinat. Qui a tué Matoub Lounès ? Qui a commandité ce crime ? A ces questions, qui n'auront probablement jamais une réponse claire, un ancien militant du Mouvement culturel berbère rappelle ce que pensent tous les Algériens de cette affaire : «Matoub a été tué par ceux qu'ils dérangent.» La mère et la sœur du défunt réclament toujours une enquête sur sa mort. Depuis 14 ans, elles ne cessent de crier sur tous les toits et de revendiquer une nouvelle étude balistique, la reconstitution des faits sur le lieu de l'assassinat et l'audition de 51 témoins qui ont tous quelque chose à dire ou bien à révéler sur l'assassinat de l'infatigable militant de la démocratie et de l'amazighité. «Ceux qui ont tué mon frère ne sont pas dans ce tribunal», avait déclaré Malika Matoub en juillet 2011, lors du procès de Matoub où Madjnoun et le repenti Chennoui ont été condamnés à une peine de 12 ans de prison ferme pour «complicité dans l'assassinat de Matoub». Le dossier sur l'assassinat de Matoub est-il définitivement clos ?