Du haut de ces 71 ans, Rachid Boudjedra semble au haut de sa forme, et très réceptif à cet hommage rendu ce jeudi en marge de l'entame du Sila version-2012. Militant de la lutte de Libération nationale, écrivain, essayiste, poète, journaliste, Rachid Boudjedra est une grande figure de la littérature algérienne dont l'ensemble de son œuvre a une portée universelle. Son œuvre littéraire impressionnante et incommensurable est traduite dans plusieurs langues dont l'anglais, l'espagnol, le russe, le chinois, le japonais, l'italien, le portugais, le tchèque, l'indien, le slovaque, le suédois, le norvégien, le malais, l'allemand, le turc, l'ouzbek, le kurde albanais et le grec... Plume remarquable et talentueuse, ses écrits dans l'air du temps sont en symbiose avec l'actualité. Connu pour ses idées marxistes dont il s'en réclame ouvertement, abhorrant les injustices, les inégalités sociales et l'exploitation de l'homme, Boudjedra appréhende un pan de sa vie et son parcours littéraire. Après une présentation de l'auteur et de ses œuvres par le modérateur journaliste Youcef Saiah, le débat a porté sur de multiples questions faisant référence à son rapport à Kateb Yacine, à son écriture poétique, au foot sa passion, à ses essais et scénarios, et aux différentes biographies erronées écrites sur l'auteur... Prolixe comme à son habitude, l'auteur de La Répudiation, a donné des précisions sur son écriture et son rapport à Kateb Yacine. A ce sujet, il signale : «J'ai découvert Kateb Yacine à 14 ans en août 1956, cela a été un éblouissement. Il parlait des mêmes choses que moi, et de ma région. J'ai eu un coup de foudre, c'était mon maître et le maître de l'Algérie ; Kateb se battait à coups de mots. C'est le seul écrivain à qui j'ai envoyé mon premier ouvrage, la Répudiation et qui m'a répondu par cette phrase : «Je ne suis plus seul.» «J'étais en admiration, il est l'homme qui a tracé ce sillon dans la littérature, la vie politique et le militantisme. Il a été d'une honnêteté qui va jusqu'à la pauvreté», dit-il sur un ton admiratif. Vouant une exaltation sans bornes pour Kateb, il évoque Dib pour qui, il n'a pas eu ce choc ; Dib, c'est Zola, Balzac. Faisant référence à sa passion, le foot, Boudjedra exprime cet enthousiasme dans quatre de ses romans. «Dans la littérature, le roman, il y a une gestuelle qui rappelle le foot qui est pour moi comme une danse, une chorégraphie», dit-il. Abordant la production poétique, l'auteur de l'Escargot entêté, souligne que «son rapport à la poésie est quotidien, ordinaire. Pour moi, c'est la même texture que l'écriture romanesque que je considère comme de la poésie ; le tissu romanesque est imprégné de poésie ; et le roman est poétique ou ne l'ai pas, la dichotomie entre le texte et la poésie n'a pas lieu d'être», dit-il pour conclure. Faisant allusion aux diverses rumeurs, le taxant de diverses étiquettes, l'écrivain tente de s'en défendre : «J'ai un sens du mépris très fort et je ne réagis pas aux rumeurs et biographies erronées ; je suis marxiste, ce qui fait rire certains et dérange beaucoup de gens ; je suis contre toutes formes d'injustices. C'est ma force, c'est ma vision du monde où l'homme est exploité ; je suis monté contre l'Occident fasciste. Conscient du battage médiatique malsain qui a été fait à une période à propos de ses écrits, Boudjedra s'explique : «Ma franchise politique et littéraire pose des problèmes.» Evoquant le Printemps arabe et la position de l'Occident, il avoue : «Je n'ai pas confiance en les Occidentaux et Européens par rapport à nous en tant qu'ancienne colonie ; on a payé déjà dix ans de sang et de larmes avec 150 000 morts». Cet hommage a permis de mieux cerner l'homme, l'écrivain qui vit en symbiose avec ses idées et ses principes.