L'élevage de cet emblématique oiseau est fortement ancré dans la tradition populaire algérienne. Espèce censée être protégée par la loi, cette dernière n'a jamais été appliquée. Le risque de disparition du chardonneret des forêts nationales est alarmant. Faisant partie de la famille des passériformes, le chardonneret est victime de son prestige en tant qu'oiseau de compagnie et particulièrement par la qualité de son chant théâtral. Le premier malheur que subit cette espèce est la chasse intensive et non-réglementée. Le chardonneret est un oiseau mythique, c'est l'oiseau préféré et de loin aimé des Algériens. Ses cousins le canari, la sereine, ou bien d'autres n'ont pas atteint son niveau d'adoration. Mais il reste fortement concurrencé par le «mulet», nom donné dans l'argot algérien à l'hybride issu du chardonneret et du canari.Les chasseurs raflent tout, y compris les femelles, qui nichent pourtant quatre fois annuellement, mettant de facto fin à un cycle de reproduction légiféré par la nature. «La disparition des chardonnerets a commencé à se faire sentir durant ces dernières années», a affirmé Nabil, vendeur d'animaux de compagnie dans le quartier les Sources à Alger.«La chasse intensive a commencé au début des années 1990, et cela sans le moindre ralentissement», a déploré notre interlocuteur, vraisemblablement très déçu par cette triste réalité. A l'intérieur du magasin de Nabil, le bel aménagement de son local laisse entrevoir qu'il a acquis une expérience du haut de sa quarantaine bien entamée. Pour lui, «la meilleure solution consiste à l'arrêt définitif de la chasse des chardonnerets, ne serait-ce que durant les périodes d'accouplement et de nidification». Car cette chasse massive et non modérée est l'une des principales raisons du risque d'extinction du chardonneret algérien, le meilleur de tout le bassin méditerranéen, selon des spécialistes du domaine. «Les chasseurs devraient au moins laisser les chardonnerets se reproduire et ne pas entraver les accouplements. Passée cette période, ils auront 3 à 4 mois pour chasser une petite quantité afin de permettre à cette race de perdurer», a expliqué Nabil. Tout en précisant que «le chasseur devrait prendre au minimum 5 à 10 chardonnerets et pas au-delà. Aussi et dans l'optique de préserver cette catégorie de passereaux, la chasse doit être homologuée et le chasseur devrait être muni d'un permis. C'est aussi un moyen de lutte contre le trafic». Le chant des chardonnerets varie d'une région ou d'un secteur à un autre. C'est dans les régions de Jijel, Béjaïa et Souk Ahras que les chardonnerets subsistent encore. En revanche, les chasseurs qui s'y rendent, reviennent toujours bredouilles. On dit que le chant du chardonneret d'El Kadous, à l'est de Aïn Taya, dans la wilaya d'Alger, reste à ce jour le meilleur. Malheureusement, cette variété a complètement disparu des cieux.La nouvelle tendance des éleveurs est l'achat en quantité de chardonnerets marocains. Longtemps boycottés par les Algériens, les chardonnerets de nos voisins de l'Ouest sont en vérité de très bons chanteurs. Des jeunes s'en procurent et les dressent en leur faisant écouter des chants de chardonnerets algériens, enregistrés sur cassettes audio et CD.«La frange juvénile est divisée entre ceux qui sont conscients du phénomène et les autres qui n'ont aucune idée de cette amère réalité», a souligné notre interlocuteur. Les jeunes devraient se mettre à accoupler les chardonnerets en captivité. Cette troisième voie pourrait donner des résultats positifs, et de ce fait, pérenniser la race des chardonnerets algériens. Auparavant, les éleveurs croyaient que les femelles n'étaient pas fécondables en captivité. Toutefois, Nabil, le vendeur d'oiseaux, souhaite la médiatisation à grande échelle de la menace de disparition des chardonnerets.La télévision, les radios et les journaux devraient, selon lui, évoquer davantage ce problème. Espérance de vie et tarifs Avec de l'entretien et la prévention des maladies, le chardonneret peut vivre jusqu'à 20 ans, voire plus. Un chardonneret détient le record de 23 ans de longévité. Actuellement, ce doyen hors pair est aveugle.S'agissant des prix, il n'y a pas de barème fixe. Les chardonnerets sauvages coûtent entre 500 et 1000 DA et peuvent atteindre les 1700 DA. Quant à ceux nés et élevés en captivité, ainsi que les grands chanteurs, la moyenne tourne autour de 5000 à 10 000 DA. Un chardonneret de couplage est cédé entre 5000 et 7000 DA. Dans les annales, on peut citer le cas d'un chardonneret dont le propriétaire habitait Birkhadem, qui a coûté la faramineuse bagatelle de 20 millions de centimes.«C'était le meilleur, une perle d'une extrême rareté. Un véritable maître chanteur, détenteur d'une très bonne mélodie et d'une magnifique posture», a estimé Nabil. Un peu d'histoire L'élevage des chardonnerets date approximativement de l'époque de la Régence ottomane d'Alger. Mais des études plus approfondies indiquent que cette pratique a commencé durant la période du califat omeyyade. Suite aux différents flux de migration arabes, elle a été introduite d'abord dans les villes et plus tard dans les districts ruraux d'El Djazaïr.Cependant, des professionnels réfutent cette idée et précisent que le chardonneret a été domestiqué depuis l'antiquité, soit à l'époque de la Numidie. Avec le risque de sa disparition, l'amour pour le chardonneret est de plus en plus accru. La sensibilisation demeure l'un des moyens pour faire face à cette menace, en plus des actions des associations, jusque-là absentes du terrain.
Pourquoi dramatiser, alors que cet oiseau n'est qu'un volatile ? Tout simplement parce que le chardonneret fait partie intégrante du patrimoine socioculturel de notre pays.Sinon, «el maknin» deviendrait une légende, et des récits sur son sujet seraient racontés à nos petits-enfants avec amertume.