Le parti islamiste tunisien Ennahda a appelé à une manifestation samedi à Tunis pour défendre "la légitimité" du pouvoir, désavouant son Premier ministre Hamadi Jebali qui veut former un gouvernement de technocrates face à la crise provoquée par l'assassinat d'un opposant. Signe que les autorités redoutent de nouveaux débordements, l'armée est restée déployée à travers la capitale, alors que la Tunisie vit sous le régime de l'état d'urgence depuis la révolution de janvier 2011, qui a fait chuter le régime de Zine El Abidine Ben Ali. La manifestation à l'appel des jeunesses d'Ennahda doit avoir lieu à partir de 14H00 (13H00 GMT) sur l'avenue Habib Bourguiba, en plein cœur de Tunis et théâtre de violences ces derniers jours entre opposants en colère et policiers. Les mots d'ordre du rassemblement sont "la défense de la légitimité de l'Assemblée nationale constituante" (ANC) et la lutte "contre la violence" politique. La référence à l'ANC vise clairement le Premier ministre, pourtant numéro 2 d'Ennahda, qui a répété vendredi se tenir à sa "décision de former un gouvernement de technocrates", si besoin sans "l'aval de l'Assemblée nationale constituante". M. Jebali, un modéré au sein de son parti, est entré ainsi en conflit ouvert avec la direction du mouvement, aggravant encore la crise politique en Tunisie alors qu'Ennahda ne parvient pas depuis des mois à s'accorder avec ses alliés laïcs sur un remaniement gouvernemental. La manifestation vise aussi à condamner "l'ingérence française" à la suite de propos du ministre français de l'Intérieur, Manuel Valls qui a dénoncé cette semaine un "fascisme islamiste" après l'assassinat de Chokri Belaïd. L'ambassade de France est située sur l'avenue Bourguiba et fait l'objet de mesures de protection importantes depuis l'intervention militaire au Mali. Le ministre des Affaires étrangères, Rafik Abdessalem, et le chef du gouvernement ont signifié vendredi après-midi leur mécontentement à l'ambassadeur François Gouyette après les déclarations de M. Valls. Constituante paralysée L'appel des islamistes à manifester intervient au lendemain des funérailles à Tunis de M. Belaïd, l'opposant assassiné mercredi, qui ont rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes scandant des slogans anti-islamistes. L'assassinat a déclenché une vague de violences dans le pays qui ont fait un mort dans les rangs de la police. La journée des obsèques s'est déroulée dans un calme relatif avec des heurts entre policiers et casseurs aux abords du cimetière et des affrontements dans plusieurs villes de Tunisie. Le pays a de plus été quasi-paralysé vendredi par une grève générale contre la violence politique. Samedi, les commerces étaient de nouveau ouverts. Parallèlement, un dirigeant du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), Zied El Heni, a été convoqué par la justice après avoir accusé vendredi soir sur un plateau de télévision un haut responsable du ministère de l'Intérieur d'avoir commandité l'assassinat de M. Belaïd. Le meurtre de cet opposant virulent et très médiatisé aux islamistes a plongé la Tunisie encore plus profond dans la crise politique et sociale. Les manifestations et conflits sociaux, souvent violents, se multiplient depuis l'été en raison du chômage et de la misère, deux facteurs clé de la révolution. Et faute de compromis sur la nature du futur régime, l'élaboration de la nouvelle Constitution par l'ANC est paralysée, Ennahda insistant sur un régime parlementaire pur, alors que ses alliés et l'opposition laïques insistent sur un régime mixte laissant des prérogatives importantes au chef de l'Etat. La Tunisie a aussi été déstabilisée par l'essor de groupuscules salafistes jihadistes responsables de plusieurs attaques sanglantes, la plus grave ayant visée l'ambassade américaine en septembre.