L'armée était déployée vendredi dans plusieurs villes de Tunisie quasi-paralysée par une grève générale pour les obsèques de l'opposant Chokri Belaïd, dont l'assassinat a plongé le pays dans la tourmente. Une foule d'au moins 5.000 personnes, qui continue de grossir, était rassemblée à Djebel Jelloud, un quartier de la banlieue sud de Tunis, pour participer aux funérailles dans l'après-midi de Chokri Belaïd, abattu de trois balles tirées à bout portant devant son domicile tunisois mercredi. Ils scandaient des slogans contre les islamistes du parti Ennahda au pouvoir, comme lors des manifestations et violences anti-gouvernementales qui ont éclaté après la mort de cette figure politique très médiatisée depuis la révolution de 2011 qui a renversé le régime de Zine El Abidine Ben Ali. Le pays tournait au ralenti après l'appel à la grève générale par des partis et la centrale syndicale historique, l'Union générale tunisienne du travail (UGTT, 5000.000 membres), la première de cette ampleur depuis 2011. Tous les vols depuis et vers la Tunisie ont été annulés à l'aéroport de Tunis-Carthage, le principal du pays, selon des sources aéroportuaires. En ville, les rues étaient largement vides et seuls de rares bus étaient visibles. Le tramway de Tunis semblait fonctionner mais les rames étaient désertées. A Tunis, des camions de l'armée ont été déployés sur l'avenue Bourguiba, épicentre des heurts entre policiers et manifestants. Les militaires viennent renforcer un important dispositif policier, nombre de bus et de fourgons cellulaires étant déployés pour parer à tout débordement. Les soldats ont été également déployés dans les villes de Zarzis (sud), autre point chaud près de la frontière libyenne, à Gafsa (centre), et à Sidi Bouzid, berceau de la révolution de 2011, devant les principales administrations. Alors que dans plusieurs villes des centaines de personnes défilaient en scandant "Assassins" et "Chokri repose toi, on continuera ton combat", l'UGTT a appelé à une "grève pacifique contre la violence" et les autorités ont demandé aux citoyens "d'éviter tout ce qui porterait atteinte à la sécurité publique". L'état d'urgence est en vigueur depuis 2011 dans le pays, les autorités cherchant à rétablir la sécurité après la multiplication ces derniers mois des violences, les plus graves ayant impliqué des groupuscules islamistes radicaux. L'assassinat de Chokri Belaïd, sans précédent dans les annales contemporaines, a déclenché des violences entre policiers et manifestants dans le pays. Un policier y a péri et un autre était vendredi dans le coma après avoir été tabassé dans la nuit par des manifestants à Gafsa. A Djebel Jelloud, des milliers de Tunisiens, dont plusieurs personnalités politiques, étaient réunis devant la Maison de la culture du quartier où le cercueil est exposé, couvert de fleurs. Une procession traversera le quartier pour rejoindre le cimetière voisin d'El-Jellaz où l'opposant sera inhumé. Les manifestants scandaient "avec notre sang et notre âme on se sacrifie pour le martyr" ainsi que des slogans accusant de nouveau les islamistes d'Ennahda d'être des "assassins". Les forces de l'ordre étaient invisibles. "Mon fils est un homme qui a vécu avec courage et dans la dignité. Il n'a jamais eu peur, il est parti en martyr pour son pays", répète Salah Belaïd. Depuis mercredi, à l'endroit où il a été tué, les personnes se succèdent aux cris "Adieu Chokri, martyr de la liberté!" pour déposer fleurs et chandelles. Terrassée par la douleur, sa veuve Besma, observait le silence après avoir accusé maintes fois Ennahda d'avoir commandité le meurtre de son époux. Cet assassinat a aggravé la crise politique. Le Premier ministre islamiste Hamadi Jebali a appelé mercredi à un gouvernement restreint de technocrates ce que son propre parti, Ennahda, a rejeté. La présidence a dit ignorer toute information sur un tel cabinet et M. Jebali garde le silence depuis. L'ambassade de France a appelé ses quelque 25.000 ressortissants à la prudence et annoncé la fermeture des écoles françaises vendredi et samedi. Les universités seront fermées dans le pays jusqu'à lundi. Les violences politiques et sociales se sont multipliées ces derniers mois face aux espoirs déçus de la révolte et de l'émergence de milices pro-islamistes régulièrement accusées d'attaquer les opposants.