Grâce à la justice et la presse italiennes, l'affaire Saipem, ou ENI, c'est selon, les algériens sont en train de redécouvrir une autre histoire de corruption dont ils ont déjà entendu parler. Le problème est que quand ils en ont eu vent la première fois, c'est la justice algérienne qui devait s'en saisir, et la presse nationale, quelle que soit sa volonté, n'avait rien d'autre à se mettre sous la dent que ce qu'on voulait bien lui dire. Pour le commun des Algériens donc, ça fait longtemps que personne ne croit plus à ce qu'on raconte dans ces «histoires-là». L'Algérien ordinaire «sait». Il sait que «ceux qui volent le plus» ne vont jamais en prison. Il «sait» que ce sont «les petits intermédiaires» qui paient toujours pour les gros poissons. Il «sait» que les «gros poissons» ont toujours un soutien intéressé à un haut niveau de l'Etat ou occupent eux-mêmes d'importants postes de responsabilité. Il «sait» que la justice n'est pas indépendante et qu'elle a aussi ses corrompus. Il «sait» que la police n'enquête pas sérieusement sur les affaires de pots-de-vin et de détournement parce qu'elle a également ses ripoux, qu'elle obéit à plus haut et qu'elle manque de logistique et de savoir-faire. Il «sait» beaucoup de choses et en l'occurrence il croit tout savoir. Le plus cynique parmi eux dit que pour connaître la vérité dans ces histoires de corruption et de vol, il suffit d'imaginer le contraire de ce qu'on vous dit. Le problème est qu'il n'existe pas toujours de «contraire» de ce que la justice, la presse et l'autorité politique nous disent. Juste pour l'exemple, dans l'affaire «Khalifa», il était difficile de trouver autant de «contraires» pour connaître la vérité. Et puis ça aurait quand même été trop simple s'il suffisait d'aller en prison pour… être innocent. Mais c'est ainsi. Tenez, dans l'affaire ENI-Saipem, la justice n'a été évoquée que pour sortir la… présomption d'innocence du ministre de l'Energie de l'époque, Chakib Khelil. Un marché de 11 milliards de dollars avec des pots-de-vin estimés à des centaines de millions de la même monnaie où le premier responsable n'est pas concerné… décidément si l'Algérien ordinaire ne sait pas tout sur ces affaires-là, il ne doit vraiment pas en être très loin ! Depuis qu'on… sait que M. Khelil avait bien rencontré dans un hôtel parisien le patron d'ENI, Paolo Scaroni et son directeur pour l'Afrique du Nord, en compagnie d'un dénommé Bedjaoui Farid Nouredine, neveu de l'ancien ministre des affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui. Déjà qu'on savait tout ou presque, voilà qu'en plus c'est la justice et la presse italiennes qui nous le disent ! Dans ces affaires de corruption, on sait tout parce qu'on ne veut pas qu'on sache les détails. La corruption ne pousse pas sur le terreau de la vérité, elle ne peut se développer dans un environnement transparent. C'est sa nature. Sans doute s'agit-il du même combat, quand on ne réduit pas la soif d'information sur la question à un hobby de vieille ménagère. Et cette fois, même si grâce à la justice italienne il en saura certainement un peu plus, il va encore se poser les mêmes questions. Comme celle-ci : a-t-on déjà vu un ministre en prison ? Comme il sait aussi les réponses…