Dans son article consacré à l'assassinat de Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, mon confère Kamel M. écrit dans Algeriepatriotique : «Pourtant, ni les dirigeants politiques et militaires israéliens ni leurs mentors américains n'ignorent que la neutralisation d'un chef de guérilla ne sert strictement à rien et ne changera aucunement la donne s'agissant de la confrontation sur le terrain.» Il ajoute : «L'action de l'armée israélienne à Gaza comme à Beyrouth est, dès lors, caduque et ne fera qu'inciter les Palestiniens et les Libanais à continuer leur combat contre Israël.» (1) Pour quel motif l'armée israélienne s'acharne-t-elle à abattre les chefs du Hezbollah et du Hamas en sachant que ces assassinats ciblés ne changeront pas la donne de la confrontation ? Pis, ces meurtres ne feront qu'inciter les Palestiniens et les Libanais à continuer leur combat contre Israël. La réponse se niche dans le constat établi par mon confère Kamel M. dans la suite de son article : «Il faut savoir, toutefois, que les bombes larguées sur Beyrouth sont financées par les Etats-Unis. L'establishment utilisant ainsi les impôts des Américains, accablés par une grave crise économique, ce sont les citoyens qui financent directement les guerres qu'Israël mène au Moyen-Orient.» Les bombes sont, en effet, financées par les impôts des Américains. Ce sont les contribuables états-uniens qui financent les guerres qu'Israël mène au Moyen-Orient. Mais, surtout, toutes les guerres menées par le Pentagone. Curieusement, depuis plus d'un demi-siècle, les Etats-Unis ont «perdu» toutes les guerres qu'ils ont déclenchées, malgré leur supériorité militaire écrasante. Tout le monde sait que, du Vietnam à l'Afghanistan, en passant par l'Irak et la Syrie, la première puissance mondiale s'est enlisée anormalement dans des conflits interminables. Par antiaméricanisme primaire, les observateurs malavisés attribuent ces «défaites» à la prétendue défaillance structurelle de la première puissance militaire mondiale. Selon eux, c'est une preuve du déclin des Etats-Unis. Rien n'est plus faux ! Les incessantes agressions militaires d'Israël, ces «guerres proxys» américaines, et les interminables «défaites militaires» des Etats-Unis trouvent leur explication dans l'existence du complexe militaro-industriel états-unien. Trouvent leur source au Pentagone. Comment expliquer qu'en deux siècles d'existence les Etats-Unis n'ont jamais remporté une vraie grande bataille ? Ce qui n'empêche pas, pourtant, les Etats-Unis de demeurer la première puissance militaire mondiale depuis presque un siècle. Comment expliquer cette énigme ? Malgré leurs successives défaites militaires, les Etats-Unis continuent à dominer le monde depuis plus d'un siècle par leur puissance économique, leurs performances scientifiques, leur hégémonie culturelle. Tout se passe comme si chaque défaite militaire revigore ce pays. A croire que l'échec militaire est le meilleur gage de sa victoire économique. La débâcle armée est l'assurance vie de la pérennité de son hégémonie mondiale. La guerre de l'art, les Américains l'ont gagnée. Ils sont parvenus à imposer leur culture à tous les peuples. En revanche, ce ne semble, apparemment, pas le cas dans l'art de la guerre. S'ils sont de grands acteurs en matière culturelle, notamment dans les secteurs cinématographiques et musicaux, ils donnent l'impression d'être de piètres militaires, d'échouer lamentablement à chaque nouveau feuilleton guerrier. Les Etats-Unis sont le seul pays qui, à chaque défaite militaire ou retrait d'un conflit armé, gratifie son «ministère de la déroute perpétuelle», le Pentagone, d'une généreuse augmentation de son budget. Un budget militaire destiné à remplir la même feuille de route tracée par le complexe militaro-industriel : le dépenser réellement dans les guerres interminables et «défaitistes». «Il n'y a qu'en Amérique que les guerres se terminent et que les budgets de guerre augmentent», avait écrit, à juste titre, le lieutenant-colonel de l'armée de l'Air à la retraite et historien William Astore, à la suite du retrait des troupes américaines de l'Afghanistan en 2021. Au vrai, les Etats-Unis, atteints d'hubris belliciste, ont créé, au double sens du terme, un Etat (état) de guerre permanent, destiné à faciliter la guerre sans fin. Comme l'a écrit un journaliste américain : «En ce moment même, notre nation tue ou bombarde dans peut-être 10 pays différents.» Directement ou indirectement : les fameuses guerres proxys (Israël, Ukraine, Liban). Le nouveau budget servira à l'achat de nouveaux équipements militaires, tels que des nouveaux avions de chasse, des hélicoptères, des chars et blindés, des navires de guerre et des sous-marins. Autrement dit, à l'achat des engins de mort et de destruction. En vingt ans, depuis le début des années 2000, les sommes allouées à la défense aux Etats-Unis (ou plus exactement à l'enrichissement des puissants du complexe militaro-industriel car le pays est protégé par ses armes dissuasives nucléaires et son positionnement continental, éloigné des convoitises territoriales des puissances impérialistes rivales, européennes et orientales – Chine et Russie) ont explosé, passant de 295 milliards de dollars en 2000 à presque 900 milliards en 2024. Soit une augmentation de 300%. Aucun budget étatique américain n'a connu une telle hausse. Depuis l'entrée du capitalisme dans l'ère de la décadence, caractérisée par des crises de surproduction économiques permanentes et l'endogène baisse tendancielle du taux de profit, le but de la guerre n'est pas l'obtention de quelque victoire, gain territorial ou bénéfice économique et financier. Mais la destruction systématique des infrastructures, l'anéantissement de populations surnuméraires du point de vue du capital. Ainsi, depuis plus d'un siècle, la guerre participe au processus de destruction-reconstruction du capital. Elle fait partie intégrante du mode de fonctionnement du capitalisme. Pour faire tourner la machine de guerre, source de profits pour le complexe militaro-industriel états-unien, le Pentagone s'est assigné deux objectifs. Premièrement, déclencher ou susciter régulièrement des conflits armés aux quatre coins du globe. Deuxièmement, alimenter les belligérances et nourrir les conflagrations dévastatrices pour pérenniser la guerre. Au vrai, les dirigeants américains se sont assigné un troisième objectif : parachever la guerre, après de longues années d'enlisement orchestré, par une défaite militaire. Car la défaite permet à la classe dominante, contrôlée par le puissant lobby du complexe militaro-industriel, de justifier et de légitimer l'augmentation du budget de la Défense. Paradoxalement, toute victoire militaire des Etats-Unis signerait la défaite du complexe militaro-industriel. La fin de la nécessité impérieuse de l'accroissement des dépenses militaires pour renforcer la puissance des armées américaines. Si le déclenchement de la guerre, accompagnée de sa stratégie d'enlisement, permet au complexe militaro-industriel d'écouler interminablement ses armes, donc de faire tourner ses usines ; la défaite, quant à elle, sert à justifier et le renouvellement du stock des armements et d'argument-massue pour son augmentation massive afin de renforcer prétendument la puissance militaire des Etats-Unis, fragilisée par ladite défaite. Ainsi, certes, la guerre permet au complexe militaro-industriel de s'enrichir. Mais pour pérenniser cet enrichissement, la défaite de la guerre lui sert de moyen de pression pour contraindre le Congrès de voter la hausse du budget militaire pour assurer prétendument la défense du pays, renforcer la puissance des Etats-Unis. Pour revenir à la prétendue défaite de la guerre au Vietnam, au vrai, il ne s'agissait pas d'une défaite, comme le claironnent les tiers-mondistes et les gauchistes depuis cinquante ans. Mais d'une réorientation stratégique pour donner le coup de grâce à l'impérialisme soviétique. Comment les Etats-Unis ont précipité la chute de l'URSS ? Par la stratégie d'épuisement induite par la course aux armements et la «guerre des Etoiles». Cependant, si le retrait du Vietnam était justifié par des raisons externes de réorientation stratégique, il était également motivé par des raisons internes de contestation sociale subversive. En effet, le mouvement anti-guerre du Vietnam avait fini par inquiéter la bourgeoisie américaine en proie à des grèves sauvages autrement plus menaçantes que les manifestations festives et pacifistes estudiantines. A ces deux raisons, il faut ajouter un troisième facteur. Le gigantesque coût de la guerre, estimé à 120 milliards de dollars américains entre 1965 et 1973. Ce coût financier est venu s'ajouter à la pression de l'opinion publique, qui subissait de plein fouet la baisse des investissements dans les domaines productif et social, investissements accaparés par le secteur militaire. De même, les Américains n'ont pas été chassés d'Afghanistan par les moyenâgeux talibans, ces hordes islamistes sanguinaires déguenillés, comme l'ont proclamé certains observateurs pétris d'antiaméricanisme primaire. En réalité, ils se sont retirés pour préparer leur guerre par procuration contre la Russie menée depuis le territoire ukrainien. De même, contrairement aux informations répandues, les Américains n'ont pas été contraints d'abandonner leur arsenal militaire dans leur prétendue débandade, mais les ont sciemment livrés aux talibans pour leur permettre d'assurer, dans leur futur Etat en transition, le maintien de l'ordre établi contre la populace afghane tentée par la révolte insurrectionnelle, l'agitation subversive sociale, et surtout mater les groupes rebelles armés menaçant la stabilité du pays. Le départ précipité chaotique organisé spectaculairement par les Etats-Unis était une mise en scène pour ne pas être accusés d'avoir cédé officiellement des armes aux talibans. Les Américains, en fins stratèges, avaient besoin, durant vingt ans, des talibans vivants, pour justifier leur guerre et leur maintien en Afghanistan. Aujourd'hui, ils ont besoin de talibans surarmés pour maintenir l'ordre dans ce pays féodal en proie aux guerres tribales et à l'instabilité. En tout cas, l'intervention américaine en Afghanistan, lancée le 7 octobre 2001, quelques semaines après les attentats orchestrés du 11 septembre, constitue le conflit le plus long de l'histoire des Etats-Unis. Au grand bénéfice du complexe militaro-industriel qui aura gagné des centaines de milliards de dollars au cours de cette interminable guerre d'Afghanistan. Les vingt ans d'intervention américaine en Afghanistan ont coûté plus de 2 300 milliards de dollars aux Etats-Unis, avait estimé le projet «Costs of War» en 2021. En effet, au déploiement militaire s'est ajouté la hausse associée du budget de la Défense, les soins aux soldats et les intérêts payés sur la dette émise pour financer l'ensemble. Globalement, selon plusieurs études, les coûts des guerres contre le «terrorisme» en Irak, en Syrie, au Yémen et en Afghanistan ont coûté 8 000 milliards aux contribuables américains. Et ont donc rapporté 8 000 milliards au complexe militaro-industriel étasunien. Aujourd'hui, le complexe militaro-industriel états-unien poursuit ses affaires rentables guerrières en Palestine occupée, au Liban. Pour conclure. Dans les tiroirs des bureaux du Pentagone, succursale du complexe militaro-industriel, s'entassent des dizaines de projets de guerre pour les trente prochaines années. Et, au risque de choquer certains lecteurs, l'Algérie figure en première place, en haut de la liste des pays à attaquer, à embraser, à entraîner dans une longue guerre, au grand bonheur du complexe militaro-industriel états-unien. A moins que le prolétariat mondial, les peuples opprimés, dans un sursaut de combativité historique, parviennent à déjouer cet agenda guerrier des faucons américains, du grand capital états-unien, par une révolution qui détruira définitivement les fondements des conflits militaires permanents : le capitalisme. Khider Mesloub 1) Lire «85 bombes pour tuer un seul homme : Américains, voilà où vont vos impôts !», Algeriepatriotique, 28 septembre 2024.