Deux hommes en blanc, un pape régnant et un pape émérite, se rencontrent samedi dans la résidence pontificale d'été de Castel Gandolfo, au sud de Rome, un moment inédit dans l'histoire de l'Eglise catholique confrontée à de nombreux défis. Dix jours après son élection, le pape argentin se rend en hélicoptère à la mi-journée dans ce village des Collines albines où Joseph Ratzinger s'est retiré depuis sa démission le 28 février. En dépit de l'extrême curiosité que suscite cette rencontre historique, le Vatican a prévu une communication minimale. Ce que se diront le pape émérite de 85 ans et son cadet de neuf ans de moins restera secret. L'heure d'arrivée du pape en hélicoptère a été annoncée (11h15 GMT) mais non celle du départ, signe qu'ils veulent se donner du temps. Les sujets ne manquent pas pour une Eglise de 1,2 milliard de fidèles: la "nouvelle évangélisation", les persécutions contre les chrétiens, la réforme de la Curie, les contestations, les scandales d'argent et de sexe, notamment le terrible scandale des abus sexuels sur des enfants. La presse italienne de samedi évoque cette rencontre comme une sorte de "passation de pouvoirs". "Il y aura aujourd'hui une sorte de passation de pouvoirs qui ne s'est jamais produite jusqu'à présent dans les deux millénaires de l'histoire de la chrétienté", écrit La Stampa. "Connaissant la délicatesse de l'homme Ratzinger, on peut croire qu'il s'abstiendra de donner des conseils en se limitant à rappeler l'attention sur les questions qui n'ont pas été résolues", estime pour sa part Vittorio Messori, spécialiste de l'histoire de l'Eglise, dans le Corriere della Sera. Les deux pontifes devraient parler de "Vatileaks", l'affaire des fuites de documents confidentiels, sur laquelle des cardinaux ont mené une enquête et rédigé un rapport qui n'a été transmis qu'au nouveau pape. Depuis son élection, Jorge Bergoglio a téléphoné deux fois à son prédécesseur, la dernière fois mardi pour lui souhaiter bonne fête le jour de la Saint-Joseph qui était le jour de sa propre messe d'installation. Le Vatican a indiqué que le pape émérite, qui vit à Castel Gandolfo avec quatre femmes laïques, membres de l'association "Memores Domini" qui le servent, avait regardé à la télévision l'élection de son successeur et sa messe inaugurale. Les deux hommes se connaissent depuis longtemps: au conclave de 2005, Jorge Bergoglio était le principal concurrent de Joseph Ratzinger, et représentait une orientation plus ouverte et sociale parmi les cardinaux. Mais il avait préféré se retirer de la course. Ils ont des tempéraments profondément différents: autant Joseph Ratzinger était réservé devant la foule, autant Jorge Bergoglio est spontané, va vers les gens, et cherche à limiter au maximum les honneurs qui entourent un pape. Joseph Ratzinger, par respect de la tradition, par manque de spontanéité et sans doute parce qu'il n'aimait pas l'innovation et se méfie de tout ce qui est spectaculaire, n'a que très rarement improvisé. Toutefois, Jorge Bergoglio a repris à son compte l'héritage de son prédécesseur, dans sa condamnation de la "dictature du relativisme", vendredi devant les diplomates. Dans quasiment tous ses discours, il s'est d'ailleurs référé d'une manière ou d'autre à Benoît XVI: manière de dire que, s'il a adopté un changement radical dans le style, il y a une continuité dans la doctrine. Sur les questions de société par exemple, Joseph Ratzinger et Jorge Bergoglio partagent des positions conservatrices, qu'il s'agisse du mariage gay, de l'avortement et de l'euthanasie -atteintes à la "création" pour l'Eglise catholique-. La popularité extrême qu'a acquise François est perçue avec une amertume par certains au Vatican, où l'on juge injuste l'oubli qui semble déjà frapper le pape allemand dans le grand public. Quand il s'installera en mai dans un ancien monastère sur la colline du Vatican, le pape émérite sera à quelques pas des bureaux de François. Un voisinage inédit et délicat débutera, et des rencontres seront possibles dans les jardins du petit Etat.