L'ancien ministre français de l'Intérieur — et par définition patron de la sécurité — profite de son «congé de la République» pour livrer, entre autres tranches de vie, ses souvenirs à l'épreuve du gaullisme et de l'Hôtel de Beauvau, siège de l'Intérieur, qu'il a occupé pendant de longues années. Dans le tome II de Ce que je sais…, paru de fraîche date aux éditions du Seuil (1), Charles Pasqua, 83 ans, ratisse large.Il parcourt des pages qui vont au-delà du chapitre franco-français. Sauf à être réducteur, Pasqua ne pouvait passer sous silence le détournement de l'Airbus d'Air France à l'aéroport d'Alger en décembre 1994. A l'aube de cette décennie, la plus sanglante de la crise algérienne, le gaulliste corse jouissait, place Beauvau, de prérogatives élargies.Patron de la Préfectorale, il était également le «Premier flic de France», selon le surnom revendiqué par un de ses prédécesseurs, Georges Clémenceau. L'affaire du «Vol AF 8969», Charles Pasqua l'a vécue de très près. D'où son choix de lui consacrer un chapitre entier.Au-delà du récit factuel qui n'apporte pas plus que ce que l'on sait déjà, l'ancien ministre de l'Intérieur livre quelques éclairages sur un pan de la relation franco-algérienne. En l'occurrence, le Premier ministre du gouvernement Balladur au moment des faits éclaire d'un jour nouveau la perception de la crise algérienne par la classe politique hexagonale.Les principaux responsables français n'étaient pas sur la même longueur d'ondes s'agissant de l'attitude à adopter à l'égard du voisin sud-méditerranéen.A l'opposé de l'option chère au ministre de l'Intérieur — une ligne anti-islamiste et anti-FIS —, d'autres membres du gouvernement préconisaient une politique de la carotte. L'auteur de Ce que je sais… s'en explique dès les premières lignes du chapitre. «Au Conseil de sécurité intérieure, où nous siégeons deux fois par mois, sous l'autorité du Premier ministre, le même débat est sans cesse recommencé entre Alain Juppé (ministre des Affaires étrangères, ndlr), François Léotard (ministre de la Défense) et moi.»Teneur de ce débat «algérien» contrasté : Juppé et Léotard, rappelle Pasqua, sont tous deux «convaincus que l'armée algérienne ne réussira pas à éradiquer le GIA et que des négociations s'imposeront». A en croire l'ancien ministre de l'Intérieur, ses collègues du Quai d'Orsay et de la Défense soutenaient à l'appui de leur prise de position : «C'est ce que la population algérienne elle-même souhaite.»L'argumentation des deux ministres, note Pasqua, «reposait sur les analyses de la DGSE (le service d'espionnage français, ndlr) et les services du Quai d'Orsay». Lors des réunions du Conseil de sécurité intérieure, «sans entrer dans ces spéculations», le patron de l'Intérieur se bornait «inlassablement à faire remarquer à mes jeunes collègues que l'armée algérienne n'avait jamais flanché dans sa politique de lutte à outrance contre le GIA, lui portant des coups très rudes».Pasqua avait du mal à trouver une oreille attentive. «Peine perdue», Juppé et Léotard «étaient persuadés d'avoir raison et parlaient avec intérêt de la Communauté de Sant'Egidio qui pourrait réunir les parties en présence pour trouver une solution. Je leur affirmai avec conviction que l'armée et le pouvoir algérien — je connaissais leur point de vue — n'accepteraient aucun accommodement».(1) Charles Pasqua, Ce que je sais… tome II. Un magnifique désastre 1988-1995. Paris, Le Seuil, 347 p., 20 euros.