peut-on dire que ce parti qui était sorti par la fenêtre revient aujourd'hui par la grande porte ? Le FLN est-il tenté par le diable? Né dans le feu de l'action, il est porteur d'une double personnalité: la noblesse de son idéal nationaliste et la lutte sourde pour le contrôle du pouvoir. A ce titre, il est à la fois ange et démon, maître et esclave, général et soldat, victime et bourreau, ombre et lumière. En d'autres termes, il est le libérateur et l'oppresseur de ce peuple, qu'il a délivré du joug colonialiste mais auquel il a spolié ses libertés fondamentales au lendemain de l'indépendance. Frantz Fanon a bien décrit cette ambiguïté du mouvement national algérien : la nature cruelle et fourbe du colonialisme en Algérie a obligé les militants à s'adapter à autant de cruauté sanguinaire et à tremper leurs méthodes dans le fer, le fiel, la ruse, le louvoiement, sans rien perdre de leur idéal révolutionnaire, ni de leur sentiment nationaliste. Et pour avoir charnellement flirté avec le pouvoir, dès sa création, en 1954, il a acquis tous les travers machiavéliques, d'autant plus que la disparition précoce des pères fondateurs, au Champ d'honneur comme Larbi Ben M'hidi et Didouche Mourad, ou dans des conditions troubles comme Abane Ramdane et Mostefa Ben Boulaïd, l'a laissé dans une situation d'orphelinat doctrinale dont il a longtemps souffert, alors même que la mise à l'écart de visionnaires comme Ferhat Abbas l'a privé d'un apport théoricien appréciable. Au fond, on peut dire que la meilleure période du FLN a été celle où, sous la férule d'un Abdelhamid Mehri aussi austère qu'énigmatique, il s'était astreint à une cure d'opposition. Puis l'accaparement des leviers de commandes par un RND entriste et technocratique l'a entraîné dans des révisions déchirantes et des coups d'Etat scientifiques qui lui ont permis de se remettre sur selle. Cette période, où le RND était hégémonique, était, du reste, celle où l'Etat a délibérément abandonné son rôle social et son action protectrice des plus faibles. Cela dit, et mis à part les luttes intestines pour le contrôle de l'appareil du parti et des rênes du gouvernement, c'est surtout dans le domaine social qu'il est intéressant d'interroger le FLN. Or là, on peut dire que les textes sont rares et les discours peu explicites. Fallait-il construire une république sociale à l'indépendance? Fallait-il opter pour l'économie de marché? L'anticolonialisme légitime s'était vite accompagné d'un anti-impérialisme imposé par les circonstances et les alliances nouées à l'ombre de la situation internationale. Il était de bon ton que l'Algérie soit considérée comme la mecque des révolutionnaires et que dans le mouvement des non-alignés elles soit plutôt rangée à gauche, c'est-à-dire proche du camp soviétique qui nous offrait son parapluie et nous fourguait ses armes de guerre. La politique étrangère n'étant que le reflet de la politique interne, il fallait appuyer ce tiers-mondisme de bon aloi par une politique économique mâtinée d'un mélange de nationalisme exacerbé et d'une philosophie sociale aux contours flous. La doctrine sociale et économique du FLN a-t-elle évolué au fil des années, voire des décennies? Dans la déclaration du 1er Novembre, un seul objectif était assigné: l'indépendance du pays. Toutes les divergences partisanes et idéologiques devaient être gommées au profit d'un large front anticolonialiste. A l'époque, cela se justifiait amplement, vu la répression exercée par le système colonial, les injustices sociales, l'iniquité criante du code de l'indigénat. Avec du recul, on peut dire qu'un tel front était une auberge espagnole, mais on est là dans la loupe déformante du hic et nunc : plus on s'éloigne d'un événement et du théâtre d'opérations, plus on est à l'aise pour en redessiner les contours à notre convenance. On est enclin à réécrire l'histoire, mais l'histoire est ce qu'elle est. Tout au plus pourrait-on en tirer des expériences pour l'action future. Le Congrès de la Soummam a bien essayé de mettre de l'ordre dans tout ça, d'apporter un zeste de social au futur Etat algérien, de jeter les bases d'une République démocratique et plurielle, respectueuse des libertés publiques, de saupoudrer tout ça d'une pincée de modernité, tout en restant dans le cadre d'une société islamique, mais on sait ce qu'il en est advenu, surtout après la disparition ou la mise à l'écart de ses artisans. Par ailleurs, le départ massif des Européens au lendemain de l'indépendance a créé une situation inédite: les terres agricoles, joyau de l'empire colonial, étaient sans maî-tres. Il en était de même des usines, des ateliers, de la grande distribution, des habitations. Alors que sur le plan politique, les différents clans se battaient pour le contrôle du gouvernement, des lois ficelées à la hâte essayaient de continuer à faire fonctionner la machine dans les différents secteurs économiques, administratifs ou sociaux. Les fermes étaient transformées en domaines autogérées, et dans les faits, elles furent mal gérées. D'exportatrice, l'Algérie devenait importatrice de biens alimentaires. Les habitations étaient déclarées biens vacants et laissées à une gestion anarchique qui n'a fait qu'accentuer la crise du logement au fil du temps. Les usines et la grande distribution étaient nationalisées. Le nouvel Etat algérien, qui n'était pas du tout préparé à cette mission de gestionnaire se mit, du jour au lendemain, à s'occuper de tout, de la culture de pommes de terre à l'édition de livres. Cela ne pouvait déboucher que sur beaucoup d'improvisation et de tâtonnements, de gâchis et de gaspillage, -surtout d'énergie, - vite relayés par une bureaucratie paralysante et sélective, elle-même sous-tendue par un béni-amisme asphyxiant. Et dans les faits, cette bureaucratie tentaculaire étendait son emprise sur toutes les sphères de la société. Bien que les différentes chartes élaborées consacrent toutes le caractère «socialisant» du régime, la réalité était tout autre, puisque les luttes sourdes au sommet de l'Etat et dans les rouages administratifs se soldaient par un modus vivendi qui neutralisait la machine économique et réduisait à néant les meilleures volontés. Lorsqu'on arracha la vigne, alors que la recette de l'exportation de vin était quasi équivalante à celle du pétrole. Lorsqu'on se mit à réceptionner des usines clefs en main sous le motif fallacieux de transfert de technologie, lorsqu'on ouvrit en grande pompe les souks el-fellah, où les anciens éleveurs de poules venaient faire la chaîne pour s'approvisionner en plaquettes d'oeufs, c'est que quelque chose n'allait pas dans la République. La coupe fut pleine lorsqu'on emprunta à pleines brassées sur les places financières internationales, léguant aux générations futures une dette extérieure de 26 milliards de dollars, qui remettait en cause une indépendance chèrement acquise. Ces errements, il fallait bien les payer. L'arrivée du FIS, une décennie de terrorisme, la prise en main des destinées du pays par le RND ont fait faire au FLN une cure d'opposition bénéfique. On peut dire que ce parti qui était sorti par la fenêtre revient aujourd'hui par la grande porte, par la voie de la légitimité des urnes. Il se remet en question sur tous les plans, y compris sur les plans économiques et social. Et l'on voit que le vieux parti se réapproprie des espaces qui ont été laissés vacants ces dernières années. En penchant délibérément pour la social-démocratie, il fait le choix de l'économie de marché sans rien céder sur le contenu social des réformes économiques. Et c'est à juste titre que le secrétaire général du Fln, Ali Benflis a rappelé que son parti récuse le capitalisme sauvage tel que prôné par certaines officines.