alors qu'on la croyait enterrée pour toujours, la question amazighe revient à l'ordre du jour et interpelle l'opinion publique. Nous l'avons précisé dans une précédente édition, la «réflexion doctrinale» qui inspira certains militants du PPA-MTLD à crier au «complot berbériste» au sein de la fédération de France du Parti, n'a pas soulevé que de la désapprobation. Des accusations ont été prononcées. Leur évocation nous donnera la mesure des conséquences qui ont suivi la «révélation» du complot. En attendant il nous a semblé indiqué de continuer à nous référer aux témoignages de cette époque aussi passionnante que trouble de notre histoire récente et notamment celui de Mabrouk Belhocine qui a consacré en 2001 un avant-propos explicatif à la brochure qui a servi de support à l'étude doctrinale initiée en 1949. A peine terminé, ce travail a «alors fait l'objet d'une publication doublement clandestine». Vis-à-vis, et c'est bien naturel, de la police coloniale, mais aussi de la direction du MTLD qui, après s'être procuré un exemplaire, prit des mesures draconiennes pour en interdire la discussion à tous les échelons de la hiérarchie du parti. Il faut dire aussi que le document n'est pas banal, sa trame était si serrée qu'elle ne laissait pas la moindre place à l'improvisation. Résultat, un grand nombre de militants en prendra connaissance par ouï-dire, ce qui en amplifiera l'écho auprès de l'opinion algérienne qui, en fin de parcours, apprendra qu'il y avait des Algériens parlant kabyle, chaoui ou autre, il s'agissait bien d'une même et unique langue et que ces gens-là n'étaient pas des étrangers, mais d'authentiques Algériens. Car c'est bien plus tard qu'on commencera à parler de «question berbère» qui, selon les rencontres, confirme ou infirme que finalement ce problème a trouvé sa solution: celle-ci consistant, une fois l'indépendance recouvrée, à faire reconnaître par les instances du pays l'intégralité de l'histoire de l'Algérie que l'école prendra en charge dans ses moindres détails, de même que l'officialisation de la langue amazighe dont les Algériens n'entendront parler que lorsque des arrestations sont opérées parmi les participants au colloque identitaire du «Printemps berbère» de 1980. 53 ans ont passé depuis la plate-forme de 1949. Et voilà que, alors qu'on la croyait enterrée pour toujours, la question amazighe revient à l'ordre du jour et interpelle urbi et orbi l'opinion publique. Jusque-là calme et attentive, la Kabylie rompt le silence et prend la rue à témoin pour rappeler le pouvoir à ses devoirs d'équité. En même temps on découvrait avec stupéfaction que la «promesse» faite par le PPA-MTLD de régler la «question amazighe» à l'indépendance, n'était qu'un leurre, tout au plus un sophisme dont la mission consistait à véhiculer de la perfidie aussi longtemps que l'opinion amazighe continuait à caresser des chimères. Ce temps-là, fort heureusement, est révolu. Du moins le croit-on ! Mais pour restituer à l'Algérien cette composante essentielle de sa personnalité, que d'hommes ont été accusés à tort, que d'anathèmes ont été jetés à la figure de simples militants pour avoir simplement osé prononcer des mots jusque-là interdits au sein du parti. La brochure, nous dit M.Belhocine, «a nourri une action d'opposition à l'intérieur du parti pour une refondation du MTLD sur des bases démocratiques et progressistes». Le parti étant resté sourd à leurs revendications, les acteurs de cette opposition «ont volontairement cessé leurs activités en avril 1950». L'OS (Organisation spéciale) conçue pour passer à l'action directe en combattant le colonialisme subissait depuis l'attaque de la poste d'Oran en 1949 un démantèlement méthodique qui se poursuivra encore pendant quelques mois. Ce qui n'empêchera pas les auteurs de la brochure — en fait l'ensemble des acteurs qui ont voulu introduire une part de terreau indispensable à l'éclosion de la liberté d'expression et de la démocratie au sein du PPA-MTLD — à rejoindre le FLN dès 1955. Pourquoi le FLN? D'abord parce qu'enfin les Algériens passaient à l'action directe et ça s'étendait chaque jour à travers l'ensemble du territoire. Et puis, parce que, au sein du FLN, on croyait sincèrement que la «question amazighe» trouverait sa solution à l'issue du conflit. Leur adhésion avait été perçue par eux comme une rupture bénéfique d'avec le parti de Messali Hadj. Passer du camp de l'autoritarisme à celui du combat, leur donnait la sensation que l'avenir ne les décevrait pas. Le combat pour la démocratie n'a jamais été aisé nulle part. L'Algérie est indépendante depuis 40 ans et ce combat-là continue de subir toutes sortes de rétorsions l'empêchant de se développer rapidement. Quant à la liberté d'expression, l'amazighité ou les autres actes d'appoint nécessaires pour asseoir définitivement la personnalité de l'Algérien, le rythme de leur rétablissement se fait mais à-tâtons... En 1949, cela va de soi, c'était bien pire. Ainsi par exemple la rédaction de la brochure plaidant en faveur de l'introduction de la démocratie dans le parti à peine terminée, que des provocations commencèrent à voir le jour, dans la presse notamment. En effet, en ouverture de sa «une» du 19 août 1949 le quotidien L'Echo d'Alger rapporte cette information selon laquelle «dans la matinée du 18 août, vers 10h 30, à un km environ de Fort-National, Ferhat Ali, connu pour être chef-adjoint du PPA de la région, a été grièvement blessé d'une balle de pistolet, alors qu'il empruntait un chemin de traverse». Le journal décrit ensuite l'état de la victime qui fut aussitôt transportée à l'hôpital de Tizi-Ouzou, où elle dut subir une opération. Touché au poumon gauche Ferhat Ali subira un autre calvaire peu après son arrivée à l'hôpital: celui des policiers des renseignements généraux. Sur ses indications, rapporte le journal, agents et magistrats du tribunal de Tizi Ouzou, apprirent que les agresseurs de Ferhat Ali étaient au nombre de trois. II s'agissait de Djefel Akli, de Fernan Hanafi, tous deux du village El-Kantra (commune de Fort-National) et un étranger à la région. Mais tous les trois étaient membres du PPA. Pour autant les révélations se poursuivent. En effet, sur la base des éléments de l'enquête menée sur place, on se trouve, écrit L'Echo d'Alger, en présence «d'une rivalité entre membres du PPA-MTLD» que certains voudraient abandonner pour créer un nouveau parti qui s'intitulerait PPK ( Parti populaire kabyle ou berbère) - Ferhat Ali aurait disposé à cet effet des fonds qu'il «était chargé de gérer au PPA». Il semble que c'est la raison pour laquelle ses adversaires auraient tenté de l'abattre. Ferhat Ali ne nie pas que ceux qui en voulaient à sa tête étaient effectivement des membres du PPA. Quant à l'accusation qui le condamne à vouloir profiter de l'argent qu'il avait en charge pour lancer le PPK, il n'a pas cessé de la nier. Profitant de l'occasion, il rappelle cependant qu'il reste fidèle mais que «ce sont ses agresseurs qui, au contraire, voulaient l'obliger à se servir de l'argent du parti pour créer le PPK». A peine remis de ses blessures Ferhat Ali, enfin libre de ses mouvements, rédige une mise au point à propos du «Parti populaire kabyle». En voici quelques extraits: «A la suite d'articles parus dans la presse colonialiste, souligne Alger Républicain des 21 et 22 août 1949, qui fut le destinataire de la lettre de Ferhat Ali: après la tentative d'assassinat dont j'ai été victime l'Echo d'Alger tirant des faits une interprétation à dessein tendancieuse, a parlé d'accrochage entre deux partis politiques dont l'un, un certain PP kabyle (ou berbère) s'opposerait au PPA et que des éléments du premier m'auraient agressé pour une question d'argent. Je tiens à démentir ces accusation mensongères.» Mais Ferhat Ali ne révèle de ses sentiments aucune espèce de vengeance en apportant d'autres précisions. En effet, rappelant la propagande coloniale qui n'a cessé de circuler autour du PPK, Ferhat précise qu'il «n'a jamais existé et il n'existera jamais de parti kabyle, pour la bonne raison qu'il n'y a qu'un peuple algérien dont les éléments, quoique d'origine ou de langues différentes, vivent fraternellement unis dans une même volonté de libération nationale». Il est absolument faux que dans le MTLD «existe une tendance kabyle ou berbériste. Pour ma part, ajoute-t-il, j'ai toujours pensé que l'Algérie n'est ni arabe, ni berbère, mais ne peut être qu'algérienne et que dans notre patrie, toutes les cultures et tous les éléments de notre patrimoine méritent le respect et le libre-développement, c'est pourquoi j'ai toujours travaillé au sein de mon parti dans un sens toujours plus national, révolutionnaire et démocratique». Et de conclure, non sans avoir accusé la presse colonialiste de jeter le trouble dans les rapports des militants du parti entre eux, en disant: «En un mot pour répondre à la presse colonialiste, je dirai que l'Algérie, qui n'est rien d'autre qu'algérienne, est une et indivisible.» Ferhat parlait en ces termes il y a 53 ans. Engagé à veiller sur la cohésion des rangs du PPA-MTLD malgré les tendances de plus en plus marquées qui commençaient à le traverser, Ferhat nous donne ici une forte idée de ce que pouvait être le militantisme au temps du colonialisme. «Je dirai que l'Algérie qui n'est rien d'autre qu'Algérienne, est une et indivisible», cette phrase seule devrait, en principe, donner à réfléchir à Ferhat M'henni sur la vertu qu'il aurait à ne pas suivre la voie de la scission qu'il n'a cessé de prôner ces derniers temps. «Vive l'Algérie» car c'est finalement le titre qui a été attribué à l'étude qui a suscité tant d'anathèmes à l'égard de ses rédacteurs, mais aussi à l'égard des acteurs qui prirent à coeur de défendre la démocratie et la liberté d'expression contre l'autoritarisme émasculant imposé par Messali Hadj aux militants du MTL durant tout son règne-répond à l'aide d'une brochure basée sur un triptyque non seulement dynamisant mais très proche des sentiments de l'Algérien moyen. Ce triptyque répond en vérité à trois concepts dynamisants : nationalisme, révolutionnisme, démocratie. Et parmi les symboles significatifs que ses rédacteurs ont emprunté à la littérature, on a relevé: « Une boussole-une arme» et un mot d'ordre du plus pur effet révolutionnaire qui dispose de ce qui suit: «Il faut être fermement convaincu que pour remporter la victoire, nous devons éveiller le peuple et nous unir dans une lutte commune avec les peuples du monde qui nous considéreraient comme une nation égale en droit.»