Place du 1er-Mai, un quart d'heure après la prière du vendredi, le périmètre délimité pour les sit-in était désespérément vide, aucun militant d'un quelconque parti politique ni autres citoyens n'y ont pris place. Excepté des photographes avec leur équipement en bandoulières et en mal de scoops attendaient vainement quelque manifestation. Pourtant les prêches dans les mosquées d'Alger étaient particulièrement virulents contre l'arrogante Amérique. Même le bouillonnant Mahfoud Nahnah, président du MSP, s'est contenté de réunir quelques rares éléments au siège de son parti qu'il a vite invité à s'éclipser, faute de nombre, mais surtout après que les cadres du parti eurent jugé de l'imposant dispositif sécuritaire qui émaillait les principaux points névralgiques de la capitale. Un dispositif était effectivement présent de manière imposante à la Place du 1er-Mai: à proximité de l'hôpital Mustapha sur le grand terre-plein central surplombant la trémie du 1er-Mai, des Nissan blanches de la police étaient stationnées. Un camion antiémeute, «nez» orienté vers l'avenue Belouizdad renseignait également sur la volonté du département de Zerhouni de prévenir tout débordement. Quelques enfants, arrivés à se faufiler entre les rangs des journalistes venus discrètement sonder les lieux où des policiers antiémeute, casques et gourdins à la main, étaient plus que jamais à l'affût de tout mouvement suspect ou de groupuscules égarés. Mais que se passait-il entre-temps aux alentours des ambassades nichées sur les hauteurs d'Alger? A la Colonne Voirol, un carrefour donnant sur l'avenue Med El Bachir-Ibrahimi, des CNS en faction ne donnaient pas l'impression, en cette première journée de printemps, d'être là pour prendre le soleil ; c'est que l'avenue qu'ils surveillent abrite et l'ambassade des Etats-Unis et celle d'Italie. Les murs d'enceinte des deux ambassades fortement garnis de fils barbelés étaient longés de vigiles armés avec à la main des talkies walkies en marche, le long de l'avenue cônes et barrages volants freinaient les élans des automobilistes pressés. Curieusement, les abords de l'ambassade d'Espagne n'affichaient pas le même syndrome de persécution généralement cultivé par l'ambassade américaine. Plus bas, carrefour Addis-Abeba, la résidence de Grande-Bretagne bénéficiait d'un cordon sécuritaire à la hauteur de l'enlisement de Tony Blair dans le conflit américano-irakien. Plus haut même la tristement célèbre villa Suzini était gardée discrètement par des éléments équipés de radios. Seule une virée du côté de Riadh El-Feth permettait de fuir les forts relents de politique internationale tumultueuse qu'exhalait la capitale. De jeunes enfants en excursion que ramenait un bus immatriculé à Bordj Bou-Arréridj, allaient à l'assaut du monument érigé à la gloire des martyrs. Hier, tout un dispositif sécuritaire était savamment monté pour endiguer marches et manifestations qui n'ont, finalement, pas eu lieu. Les Algériens ont, sans doute, plus urgent à faire que de s'engouffrer dans les méandres de la politique étrangère. Ils se sont contentés de quelques communiqués officiels distillés par la télévision et la radio nationales. Leurs priorités demeurent certainement: l'eau, le logement et boucler des fins de mois difficiles. En somme un quotidien qui, lui, est malheureusement loin d'être fantôme.