C´est mon ami Fayçal Oukaci qui me parlait l´autre jour de la stratégie du canard: «Immobile à la surface de l´eau, il est très actif en profondeur». Cette image s´applique parfaitement à Abdelaziz Belkhadem. Durant tout le mois d´août, l´homme a laissé dire et faire à propos du huitième congrès du FLN, dont il est censé être le seul à détenir les clefs. Pour autant, l´homme n´est pas un simple porte-clef, malgré son silence de plomb. A tous ceux qui voulaient savoir la position du FLN par rapport aux projets de loi et aux amendements mijotés en conseil des ministres, personne n´était en mesure de satisfaire leur curiosité. La réforme de l´école, les codes de la famille et de la nationalité, les citoyens tout comme les militants du FLN restent sur leur faim. Pendant que les islamistes, quelle que soit la chapelle à laquelle ils appartiennent font front pour s´opposer aux projets du gouvernement, le FLN, qui est l´un des pivots de l´alliance présidentielle, reste sans voix. Belkhadem est censé être le chef de ce parti qui, jusqu´à nouvel ordre, est le parti majoritaire au parlement et dans les assemblées élues. Il porte aussi d´autres casquettes qui font de lui un personnage incontournable de la République algérienne. Il est ministre d´Etat, membre influent du gouvernement, et bien sûr, il est la voix autorisée de l´Algérie sur la scène internationale en tant que ministre des Affaires étrangères. On s´est dit que son mutisme sur ces questions brûlantes s´inscrit, peut-être, dans le cadre du devoir de réserve et de la solidarité gouvernementale, pour ne pas gêner son ami Ouyahia qui parraine ces projets de texte. Or, ne voilà-t-il pas que Belkhadem sort de sa réserve et se découvre des sympathies islamistes. Non seulement, il s´est opposé aux réformes en plein conseil de gouvernement, mais en plus il vient d´exprimer publiquement sa position devant les cadres du FLN au siège de l´appareil à Hydra. Bon, en fait, il n´y a rien là de nouveau. Chassez le naturel, il revient au galop. L´homme a ses idées, son idéologie, ses convictions politiques. On ne se refait pas à cet âge. Sa première ruade, en compagnie de Djaballah, il l´a faite contre la venue d´Enrico Macias. Cette minirébellion, qu´on peut considérer comme une tempête dans un verre d´eau, lui avait permis d´entrer par la grande porte au gouvernement, en décrochant le maroquin de ministre d´Etat chargé du département prestigieux des Affaires étrangères. Belle récompense. S´il suffisait de ruer dans les brancards pour recevoir un tel cadeau, ce serait la porte ouverte à tous les courants d´air. Mais Belkhadem sait y faire. Ce n´est pourtant pas aussi facile, puisque la fronde vient cette fois de l´intérieur même du mouvement des redresseurs, où l´on n´est pas aussi dociles ni soumis que certains veulent le faire croire. Par exemple, si Affif. Eh bien il fulmine: «Personne n´a le droit de parler au nom du FLN sur des questions aussi sensibles que le code de la famille en l´absence d´une direction légitime.» Tout est dit dans cette citation: c´est le drame de Belkhadem. Habitué aux coups d´Etat, il est toujours, à un moment ou un autre, déclaré illégitime. En janvier 1992 déjà, des malins lui avaient coupé l´herbe sous le pied, le privant de devenir président de la République, ne serait-ce qu´à titre intérimaire. De là à dire que son sort est scellé, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Comme un chat, l´homme nous a habitués à retomber sur ses pattes.